QUE L'AMOUR EST AUSSI UN THÉÂTRE

Aragon

Poème trouvé sous le paillasson en rentrant chez moi. R. R.

 

 

 

 

Le rideau se ferme et non s'ouvre

Les spectateurs ne verront rien La salle au choix

Est vide les acteurs

Connaissent leur rôle par cœur

Différemment

Prononcer les mots par cœur je veux dire

De comme ils viennent au parcours parlé Les acteurs

Croient ce qu'ils disent quand

ils le disent

par cœur

On ne sait plus de qui depuis bien longtemps quel

Aveugle Homère est le texte et d'ailleurs c'est du

Folklore ici toujours réinventé

N'y compte

Que l'interprète et seul s'applaudit l'interprète

A chaque fois par sa parole créateur

Homme enfin par son pur pouvoir de trahir les

Mots séculairement usés sans importance

Des cailloux de toujours roulés dans le torrent

Par l'eau du temps polis jusqu'à la transparence

 

Par la lumière au fond du torrent longue langue

 D'un jour obscur et lent comparable au plaisir

Son feu soudain Son pâle éclair Par tout le corps

 Ses flambures

 

J'en parle comme aux abords d'une ville

Un écriteau promet merveille aux voyageurs

J'en parle comme un homme à la fin de sa vie

Qui ne s'arrête plus pour voir les cathédrales

Et craint le froid tombant des ogives sur ses

 

Epaules

 

Mais l'acteur les acteurs montés sur le parvis

Comme plongeurs montrant sur le tremplin leur âme

Par l'hésitation merveilleuse du corps

Mais ceux qui jouent encore ici ce jeu sauvage

Et suivent dans leurs bras le cérémonial

D'aimer

l'étrange liturgie où sont eux-mêmes

Un seul Dieu les amants

tout à l'heure ils auront

Retiré leurs costumes Nus Lavés du froid

Imaginaire leurs visages

Ils marcheront dans la rue avec le soleil

Ou la pluie Ils prendront

Le métro de tous les jours Ils seront

Tout le monde

Ils seront terriblement seuls comme un enfant

A la fin de la féerie

 

Quand est le vrai de vivre je vous prie

Je vous supplie

Quand est le vrai de vivre et d'en mourir quand est

Le spectacle

Quand est mentir et le théâtre

 

 

 

 

 

Ou n'est-ce pas plutôt l'homme et la femme ensemble

La seule immense et peinte vérité

 

 

Mais j'interroge vainement qui est ce que nous fûmes

L'homme ou la femme autant que nous du seul présent

La proie

Sans le savoir jouant leur rôle et rien de plus

La plupart sourds à ce qui n'est pas que soi-même

Sourds au chant d'aimer dans l'amour

sourds à l'autre sourds aux paroles répondues

A la musique au contre-point des choses dites

I Sourds à la mer sourds à la nuit sourds aux miroirs

 

Ah

 

Il n'y a plus dans le parler de ce pays

Place au duel cette part sans partage du

 Dire du elle et lui ce doux duo du eux

Ce tandem à penser est parmi nous passé

De mode

 

 

Je parlerai donc à la première personne de ma passion

La seule vraiment qui vaille encore pour moi de vivre et 

de mourir

A haute voix je proclamerai la passion sur la croix

D'aimer la passion

Dont après le passage du vent je demeure l'arbre incendié

L'impossible oubli du feu

Le charbon dangereusement que le moindre souffle ravive

Moi de qui la cendre demeure encore la

Pâle palpitation des flammes

 

Tout semble aux gens n'être ici que machinerie

Ancienne

Trappes décors effet jeu de phares ou d'ombres

 

Fuit la bouche pour laisser le vin doux de vivre

M'envahir

 

 

 

Tout amour est d'abord un théâtre L'instant

Du rideau frissonnant le bruit des gens

Autour et le prélude dans la fosse

Le silence un instant sur la scène

 

Un instant de poussière avec la lumière et le rideau levé

Tout commence comme un bizarre essai des lèvres

Une dernière répétition du baiser La

Question qui se cherche hésite à se poser

Quelqu'un là-bas tousse essuie un meuble ou se

Regarde en passant devant le miroir

Tout amour est d'abord ce frémissement qu'éprouve

L'être de chair devant l'être de chair

Tout amour est d'abord ce regard indécis

Cet arrêt d'avant

Tout amour est l'oubli merveilleux sur lui

Des yeux des autres l'oubli de ce qu'il n'est pas encore mais

Qui vient qui monte en moi grandit

Toujours avec la fureur d'un

Parfum

 

 

 

Et même en plein hiver toujours le théâtre

Est le premier jour d'un printemps que rien ne faisait

Est le premier jour d'un printemps que rien ne faisait

pressentir

L'émouvante erreur des oiseaux et des branches

L'éclair muet d'avant l'orage Tout à coup

Les larges gouttes de l'averse et l'odeur séminale du vent

Le rideau qu'il se lève et la parole monte

En moi comme un vin noir

Il fait en moi si terriblement beau que j'ai

Peur de l'avenir pour ses yeux sur moi de jais

 

 

Ah le jet

Me voilà tout entier ce parfum du plaisir

De l'autre Une forêt

D'après la pluie où tout frémit

Comme une épaule

 

Et par mon corps épars le parme

Palpitant de ses violettes de sperme

 

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