Platonov
Acte III, sc : 4,5,6,7,8,9
Anna
pétrovna, Platonov, Ossip, Sacha
SCÈNE
IV
PLATONOV, seul
PLATONOV. - Donc, avec Grékova, je suis quitte. E:lle va me traîner
dans la boue devant toute la province . C'est bien fait pour moi... C,est la
première fois de ma vie que je suis puni par une femme. (Il se couche
sur le divan.) Tu leur fais des saletés, et elles, elles se jettent
à ta tète.. Sophia, par exemple. . .(Il se couvre le visage
dun mouchoir )J'ai été libre comme le vent, et me voila,
vautré, à navoir droit qu'aux rêves... L'amour. ..
Amo, amas, amat .. Je nous ai mis dans de beaux draps tous les deux... (Il
soupire) Ces pauvres Voïnitzev! Et Sacha? Pauvre petite fille! Qu'est-ce
qu'elle va devenir,. sans moi? Elle va dépérir, mourir... Elle
est partie, elle a flairé la vérité, elle est partie avec
l'enfant, sans un mot... Partie, cette même nuit... Si je pouvais lui
dire adieu...
ANNA PÉTROVNA, par la fenêtre. - Peut-on entrer ? Hé!
Il y a quelqu'un?
PLATONOV. - Anna Pétrovna! (Il bondit ) La générale!
Qu'est-ce que je vais ]lui dire ? Qu'est-ce qu'elle vient faire :ici! (Il
s'arrange un peu)
ANNA PÉTROVNA, par la fenêtre. - Je peux entrer! J'entre!
Vous entendez ?
PLATONOV. - Elle est venue ! Comment faire pour la renvoyer? (il se donne
un coup de peigne.) Comment me débarrasser d'elle? Je vais boire
un coup avant qu'elle n'entre... (Il ouvre avec précipitation larmoire.)
Que diable vient-elle chercher ici... Je ne comprends pas! (Il avale rapidement
un petit verre d'alcool.) J'espère qu'elle ne sait encore rien, mais
si elle savait ? Elle va me faire rougir.
SCÈNE V
PLATONOV etANNA PÉTROVNA
ANNA PÉTROVNA, entre. PLATONOV, ferme lentement larmoire
ANNA PÉTROVNA. Je vous souhaite bien le bonjour! Salut!
PALTONOV: - Elle ferme mal.... (Une pause.)
ANNA PÉTROVNA. Vous, là-bas! Salut!
PLATONOV. - !... C'est vous, Anna Pétrovna? Pardon, j e ne vous ai pas
vue entrer. Je n'arrive pas à tourner la clef... C'est drôle..
. (il laisse tomber la clef et la ramasse.)
ANNA PÉTROVNA. Mais, enfin! approchez-vous! Laissez tranquille
cette armoire! Eh bien ?
PLATONOV, s'approche d'elle. - Bonjour...
ANNA PÉTROVNA. - Pourquoi ne me regardez-vous pas en face?
PLATONOV. - J'ai honte. (Il lui baise la main.)
ANNA PÉTROVNA.Honte de quoi ?
PLATONOV. - De tout...
ANNA PÉTROVNA.- Hum. ... Vous avez séduit quelqu'un un ?
PLATONOV. - Oui... Quelque chose comme ça.
ANNA PÉTROVNA.Voyez-moi ça, ce Platonov! Et qui donc ?
PLATONOV. - Je ne le dirai pas....
ANNA PÉTROVNA. - Asseyons-nous... (Elle s'assied sur le divan.) je le
saurai bien, jeune homme, je le saurai bien. Mais pourquoi auriez-vous honte
devantmoi puisque je la connais depuis longtemps, votre âme de pêcheur..
PLATONOV. - Ne me posez pas de questions, Anna Pétrovna. Je ne suis pas
disposé aujourd'hui a assister à mon propre interrogatoire. Parlez.
si vous voulez, mais ne posez pas de questions!
ANNA PETROVNA- Ça va... Mes lettres, vous les receviez ?
PLATONOV. - Oui.
ANNA PÉTROVNA.- Pourquoi alors ne vous êtes-vous pas montré
?
PLATONOV. - Je ne peux pas.
ANNA PÉTROVNA.Pourquoi, ne pouvez-vous pas?
PLATONOV. - Je ne peux pas.
ANNA PÉTROVNA. - Vous boudez ?
PLATONOV. - Non. Pourquoi aurais-je boude ? Pas de questions, je vous en supplie.
ANNA PÉTROVNA.- Veuillez me répondre, Mikhaïl Vassilitch!
Asseyez-vous comme il faut! Pourquoi ne vous êtes-vous plus montré
chez nous depuis trois semaines ?
PLATONOV.- J'ai été malade.
ANNA PÉTROVNA. - Vous mentez!!
PLATONOV.- Je mens. Pas de questions, Anna Pétrovna!
ANNA PÉTROVNA.- vous puez le vin! Platonov, qu' est-ce que c'est que
tout ça ? Qu'avez-vous ? De quoi avez-vous l'air? les yeux rouges, une
sale tête... Vous êtes sale, les pièces sont sales... Regardez
autour de vous, c'est un scandale! Qu'avez-vous? Vous buvez?
PLATONOV.- Terriblement
ANNA PÉTROVNA.- Hum... La même histoire que I'année dernière...
L'année dernière, vous avez-eu une affaire de séduction
sur la conscience vous vous êtes promené comnme une poule mouillée
jusqu'à l'automne, et voilà que ça recommence... Un Don
Juan et un pauvre lâche dans le même corps! Je vous défends
de boire!
PLATONOV.- Je ne boirai plus...
ANNA PÉTROVNA.- Parole d'honneur! Mais ce n'est pas la peine de vous
faire porter le poids d'une promesse. (Elle se lève.) Où
est-il, votre alcool?
PLATONOV, montre l'armoire.
ANNA PÉTROVNA.- C'est une honte, Micha, cette faiblesse! Où est
votre volonté? (Elle ouvre l'armoire.) Un désordre là-dedans
! Qu'est-ce que Alexandra Ivanovna vous passera à son retour! Vous voudriez
que votre femme revienne ?
PLATONOV.- Je ne veux qu'une chose : que vous ne me posiez pas de questions,
et que vous ne me regardiez pas en face.
ANNA PÉTROVNA. - Dans quelle bouteille est lalcool ?
PLATONOV.- Dans toutes.
ANNA PÉTROVNA.- Dans les cinq ? Un ivrogne, un véritable ivrogne!
Mais c'est un débit d'alcool, cette armoire ! Il faut qu'Alexandra Ivanovna
revienne... Vous trouverez bien une explication... Je ne suis pas une bien terrible
rivale... Je suis. partageuse... Il n'entre pas dans mes projets de vous faire
divorcer... (Elle prend une gorgée a même la bouteille.) IL est
bon... Venez, on en prendra un verre! Vous voulez ? On boira un verre et puis
on ne boira plus!
PLATONOV, va vers larmoire
ANNA PÉTROVNA. - Votre verre! (Elle verse.) Sifflez-moi ça! Je
ne vous en donnerai pas d'autre.
PLATONOV, boit.
ANNA PÉTROVNA.- Maintenant, c est à mon tour... (Elle verse.)
A la santé des mauvaises gens! (Elle boit.) Vous êtes mauvais!
L'alcool est bon! Vous vous y connaissez.. (Elle lui passe les bouteilles.)
Tenez, prenez ça! Portez-les par là. (Ils vont à la fenêtre.)
Dites-lui adieu, à votre bon alcool! (Elle regarde par la fenêtre
) Une pitié que de le jeter.... Si on prenait encore un petit verre,
hein ? On en prend un ?
PLATONOV - Comme vous voulez...
ANNA PÉTROVNA.- Buvez... Vite.
PLATONOV, boit!. - A votre santé! A votre Bonheur!
ANNA PÉTROVNA, verse et boit. - Tu t'es langui de moi? Asseyons-nous...
Posez les bouteilles, en attendant... (Ils s'asseyent.) Tu t'es langui ?
PLATONOV. - Toutes les minutes.
ANNA PÉTROVNA. - Pourquoi avoir disparu ?
PLATONOV. - Pas de questions! Je ne vous dirai rien, non pas parce que je ne
suis pas franc avec vous, mais parce que j'ai pitié de vos oreilles!
Je suis fichu, je suis définitivement fichu, mon amie. Remords, idées
noires, cafard... bref, une torture! Vous êtes là et je vais mieux.
ANNA PÉTROVNA. vous avez maigri, enlaidi... Je ne peux pas les sentir,
ces héros romantiques A qui posez-vous, Platonov ? De quel roman vient
le héros que vous singez? Cafard, idées noires, lutte des passions,
l'amour aavec préambules... Fi! Conduisez-vous décemment! Vivez
donc, espèce d'idiot, comme tout le monde! Qu'est-ce que c'est que cet
archange qui ne peut ni vivre, ni respirer, ni se tenir comme le font tous les
simples mortels ?
PLATONOV.- C'est facile à dire... Mais que faire ?
ANNA PÉTROVNA. - Un étre, je veux dire, un homme, qui vit, et
qui ne sait pas ce qu'il doit faire ? Etrange! Ce qu'il doit faire ? Soit, je
vais vous répondre à cette question, comme je le pourrai, bien
qu'elle ne mérite pas de réponse, étant donné que
c'est une question oiseuse !
PLATONOV.- Vous ne me répondrez rien du tout!
ANNA PÉTROVNA.Tout d abord, vivez décemment
c'est-à-dire, ne buvez pas! ne restez pas à vous vautrer Lavez-vous
plus souvent et venez me voir, et, ensuite soyez heureux de ce que vous avez...
Vous faites l'imbécile, sir! Votre état d'instituteur ne vous
suffit pas ?(Elle se lève.) Venez avec moi, tout de suite!
PLATONOV. - Comment ? (Il se lève.) Chez vous ? Non non...
ANNA PÉTROVNA.- Venez! Vous verrez des gens, vous discuterez, vous écouterez,
vous vous disputerez...
PLATONOV. - Non, non... N'y songez pas!
ANNA PÉTROVNA. - Mais pourquoi ?
PLATONOV. - Je ne peux pas, un point c'est tout.
ANNA PÉTROVNA.- ~Vous pouvez! Prenez votre chapeau! Venez!
PL,ATONOV. - Je ne peux pas, Anna Pétrovna! Sous aucun prétexte!
Je ne m'éloignerai pas d'un pas d'ici!
ANNA PÉTROVNA,- Vous pouvez ! (Elle lui met son Chapeau) Tu fais limbécile,
mon vieux Platonov tu plaisantes! (Elle lui prend le bras.) Eh bien! Une, deux!
Venez; Platonov! En avant! (Une~pause.) Allons, Michel! Venez!
PLATONOV. - Je ne peux pas!
ANNA PÉTROVNA. - Il est buté comme un jeune taureau! Marchez!
Eh bien ! une, deux... Michel, mon petit, mon chéri, mon gentil...
PLATONOV, se dégageant. - Je n irai pas, Anna Pétrovna!
ANNA PÉTROVNA. - Allons faire un tour, autour de
PLATONOV. - Pourquoi vous cramponner ? Je vous ai déjà dit que
je n'irai pas! Je veux rester à la maison, et je vous de:manderai la
permission de me laisser faire ce que je veux! (Une pause.) Je n'irai pas!
ANNA PÉTROVNA. Hum... Je vais vous dire une chose, Platonov...
Je vous prêterai un peu d'argent... Partez d'ici pour un mois ou deux...
PLATONOV. - Partir, pour où ?
ANNA PÉTROVNA. ...Moscou, Pétersbourg... Ça vous
va? Partez, Michel! Vous avez besoin de changer d'air! Vous vous promènerez,
vous rencontrerez des gens, vous irez au théâtre, ça va
vous rafraîchir, vous prendrez l'air... Je vous donnerai de l"argent,
des lettres... Veux-tu que je vienne avec toi ? Tu veux ? On se promènera,
on voyagera... Nous ne serons plus les mêmes quand nous reviendrons, nous
seronss simplement splendides...
PLATONOV. - Lidée est charmante, mais, malheureusement, irréalisable....je
pars demain, Anna Pétrovna, mais pas avec vous.
ANNA PÉTROVNA. - Comme vous voulez... Où partez-vous ?
PLATONOV. - Je pars... (Une pause.) Je pars d ici pour toujours .
ANNA PÉTROVNA. Quelle blague. . ( Elle boit une gorgée,
à la bouteille.) Absurde!
PLATONOV. - Ce n est pas une blague, ma chère! Je pars! Pour toujours!
ANNA PÉTROVNA. - Pour quoi faire, étrange bonhomme?
PLATONOV. - Pas de questions! Je vous jure que c'est pour toujours! Je pars,
et... Adieu, oui, adieu! Pas de questions Vous ne sortirez rien de moi, à
l'heure qu'il est...
ANNA PÉTROVNA. Absurde!
PLATONOV - Nous nous voyons encore à cet instant et puis, ça sera
fini... Je disparaîtrai pour toujours... Oubliez cet imbécile,
cet âne, ce scélérat et ce salaud de Platonov. Il disparaîtra
comme dans une trappe, il s'estompera. Nous nous rencontrerons. peut-être
d'ici des dizaines d'annees, lorsque tous deux nous serions capables de rire
et de pleurer sénilement sur ces jours que nous vivons mais à
l'heure qu'il est... zut et zut! ( Il lui baise la main.)
ANNA PÉTROVNA. - Tiens, bois! (Elise lui verse à .boire.) Un homme
soûl a le droit de dégoiser des absurdités.
PLATONOV, boit. - Je ne suis pas et je ne serai pas soul... Je me souviendrai
de vous, ma mère, ma bonne fée!... Jamais je n'oublierai! Ris
bien, femme évoluée et lucide ! Demain, je m'enfuis l'ici, De
me fuis moi-même, pour aller je ne sais où, vers une vie nouvelle!
Je la connais d'avance, cette vie nouvelle!
ANNA PÉTROVNA. Tout ça est parfait, mais qu'est-ce qui vous arrive
?
PLATONOV - Je... Vous le saurez plus tard mon amie, lorsque vous serez horrifiée
par ce que j'ai fait, ne me maudissez pas! Rappelez- vous que je suis déjà
presque puni... Me séparer de vous pour toujours, c'est plus qu'une punition...
Pourquoi souriez-vous ? Croyez-moi! Parole d'honneur, il faut me croire! J'ai
le coeur si lourd, si amer, que j'aurais aimé m'étrangler moi-même!
ANNA PÉTROVNA, à travers des larmes. - Je ne crois pas que vous
soyez capable de commettre quelque chose d'abominable. M'écrirez-vous,
au moins?
PLATONOV. - Je ne l'oserais pas, d'ailleurs vous-même, vous ne voudriez
pas lire mes lettres. C'est, incontestablement, adieu.. pour toujours...
ANNA PÉTROVNA. - Hum... Sans moi, vous êtes fichu, Platonov! (Elle
se frotte le front.) Je suis un tout petit peu grise . Partons ensemble!
PLATONOV. - Non.. Demain vous saurez et...(II se tourne vers la fenêtre.)
ANNA PÉTROVNA.- Vous avez besoin d argent 7
PLATONOV. Non-..
ANNA PÉTROVNA.- Et... je ne peux pas vous aider ?
PLATONOV.- Je ne sais pas. envoyez votre photographie, aujourd-'hui... (Il se
tourne vers elle.) Allez-vous-en, Anna Pétrovna, ou je ferai n'importe
quoi! Je vais me mettre à sangloter, je vais me flanquer des coups, et...
Allez-vous-en! Je ne peux pas rester! Je vous l'ai dit clairement! Qu'attendez-vous
? Je dois partir, voulez-vous comprendre ? Pourquoi faire cette tête ?
ANNA PÉTROVNA. - Adieu.... (Elle lui tend la main). Nous nous reverrons
encore...
PLATONOV. - Non... (Il lui baise la main.) C'est inutile... Allez-vous-en, ma
chérie... (Il lui baise la main.) Adieu... laissez... (il se couvre le
visage avec la main d'Anna Pétrovna.)
ANNA PÉTROVNA.- Il est à ramasser à la cuiller, ce cher
cur...Alors? Lâchez ma main... Adieu! Buvons encore un coup avant
de nous séparer, hein ?(Elle verse à boire. ) Buvez!... Bon voyage,
et du bonheur après le voyage!
PLATONOV, boit.
ANNA PÉTROVNA. - et si tu restais, Platonov! Hein ? (Elle verse et boit.)
La vie serait belle... Quest-ce que c'est que ce crime ? Est-il possible,
à Voïnitzevka? (Une pause.) Un autre, pour noyer le chagrin ?
PLATONOV. Oui.
ANNA PÉTROVNA, elle verse - Bois, mon cur... Ah! mon Dieu, mon
Dieu!
PLATONOV, boit. Soyez heureux, vous tous! Continuez, ici... vivez sans
moi.
ANNA PÉTROVNA. - Si on boit, on boit... (Elle verse.) Qu'on boive, qu'on
ne boive pas, on meurt quand même, donc,buvons, c'est mieux... (Elle boit.)
Je suis une soûlarde, Platonov... Hein? Je verse encore? Après
tout, non... Ça va nous bloquer la langue, avec quoi parlerions-nous
? Elle s'assied.) Il n'y a rien de pire que d'être une femme évoluée...
Une femme évoluée qui n'a rien à faire... Veux-tu me dire
ce que je signifie, pourquoi je vis? (Une pause.) On deviendrait immorale à
moins... Je suis une femme immorale, Platonov... (Elle rit.) Hein ? Et je t'aime,
peut-être bien parce que je suis immorale...( Elle se frotte le front)
Je vais à ma perte... Des comme moi, ça finit toujours comme ça.
On aurait pu faire de moi un professeur, un directeur .. Si j'étais diplomate,
j'aurais mis le monde entier a l'envers... Une femme évoluée...
qui n'a rien à faire. Personne na donc besoin de moi ? Chevaux,
vaches et chiens, on en a besoin, et moi, on n"a pas; besoin de moi, je
suis de trop... Hein; Pourquoi ne dis-tu rien ?
PLATONOV. - ça va mal pour toi comme pour moi.
ANNA PÉTROVNA.- Si au moins j'avais des enfants... Tu aimes les enfants
? (Elle se lève.) Reste, mon cur! Tu resteras . On aurait une belle
vie! Gaie, amicale. Toi, tu partiras, et moi alors? Et moi, qui ai tant envie
de me reposer. Michel il me faut du repos! Je veux étre... une femme,
une mère... (une pause.) Ne te tais pas comme ça ! Parle! Tu resteras
? Puisque... puisque tu m'aimes, drôle d'homme ? Tu m'aimes ?
PL.ATONOV, regarde par la fenêtre. - Si je restais, je me tuerais.
ANNA PÉTROVNA. - Tu m'aimes ?
PLATONOV.- Qui pourrait ne pas vous aimer ?
ANNA PÉTROVNA. - Tu m'aimes, je t'aime, que veux-tu de plus ? Tu perds
la raison, peut-être .. Que veux-tu de plus ? Pourquoi n'es-tu pas venu
l'autre nuit ? Une pause). Tu restes?
PLATONOV. - Partez, pour l amour de Dieu! Vous me martyrisez!...
ANNA PÉTROVNA, Elle lui tendant la main. - Bien... en ce cas... Je vous
souhaite ..
PLATONOV. - Partez, voyons, ou je vais tout vous dire, et si je vous le dis,
je me tue!
ANNA PÉTROVNA. - Je vous tends la main... Vous ne le voyez pas ? Je passerai
ce soir, pour une seconde. .
PLATONOV.Non, c'est inutile! je viendrai vous dire adieu moi-même.
C'est moi qui viendrai... Je ne viendrai pour rien au monde! Tu ne me verras
plus, et je ne te reverrai plus jamais C'est toi-même qui ne voudras pas
me voir! Tu te détourneras de moi pour toujours. Une vie nouvelle! (Il
la prend dans ses bras et l'embrasse.) Pour la dernière fois... (Il la
pousse vers la porte.) Adieu! Va et sois heureuse! (Il ferme la porte derrière
elle, et pousse le verrou.)
ANNA PÉTROVNA, derrière la porte. - Comme devant Dieu, nous nous
reverrons!
PLATONOV. - Non! Adieu! (Il se bouche les oreilles.) Je n'entends rien! Tais-toi
et va-t'en! Je me suis bouché les oreilles!
ANNA PÉTROVNA - Je m'en vais. Je t''enverrai Sergueï et je te promets
que tu ne partiras pas, et si tu partais, c'est avec moi! Adieu! (Une pause.)
SCÈNE
VI
PLATONOV,
seul
PLATONOV. - Est-ellee partie ? (il s'approche de la porte et écoute.)
Elle est partie... Ce n'est pas sur! (Il ouvre la porte.) Un démon...
(Il regarde par la porte.) Elle est partie...
PLATONOV
(Il se couche sur le divan). Adieu femme adorable! (il soupire.) Et je ne te
reverrai jamais... Elle est partie... Elle aurait bien pu rester encore cinq
minutes... (Une pause.) Ça n'aurait pas été désagréable!
Je demanderai à Sophia de retarder le départ dune quinzaine
de jours, et je partirai avec la générale! C'est ça...
Rien que quinze jours! Sophia sera d'accord... Elle pourrait., en attendant,
vivre chez sa mère... Je vais le lui demander... Pourquoi pas, après
tout ? Pendant que je me baladerais avec la générale, Sophia se
reposerait un peu, je veux dire qu'eIle reprendrait des forces... Deux semaines!
ce n'est pas pour la vie, tout de même! (On frappe à la forte.)
Je pars! C'est décidé! Parfait... (on frappe.) Qui est là?
La générale? Qui est là? (On frappe.) C'est vous? (Il se
lève.) On entre pas! (il s'approche de la~ porte.) Est-ce bien elle?
(On frappe.) On dirait qu'elle rit... (Il rit.) C'est elle. . Il faut que je
la laisse entrer... (Il ouvre la porte.) Ah !
PLATONOV
et OSSIP
PLATONOV. - Qu'est-ce qu'il a ? C'est toi, salopard ? Qu'est-ce qui t'amène?
OSSIP. Bonjour, Mikhail Vassilitch!
PLATONOV. - Alors? Qu'est-ce que me vaut la visite d'un personnage aussi important:
Dis-le vite et fous le camp!
OSSIP. - Je vais m'asseoir ( II s'assied.)
PLATONOV. A votre aise! {Une pause.) Est-ce bien toi, Ossip; Qu'est-ce que tu
as? Tu portes sur ta face toutes les dix plaies de l'Egypte! Que t'est-il arrivé?
Tu es pâle, maigre, cadavérique.. Tu es malade?
OSSIP. - Les plaies, elles sont inscrites sur votre face aussi... Que vous arrive-t-il
? Moi, c'est. le diable qui m'a eu, mais vous ?
PLATONOV. - Moi? Le diable? connais pas! Moi, je me suis eu tout seul... (Il
tâte l'épaule d'Ossip.) Rien que des os !
OSSIP - Où est votre belle mine ? Malade, Mikhail Vassilitch? C'est votre
bonne conduite qui vous a rendu malade ?
PLATONOV, S assied à côté de lui. Quest-ce que tu
viens faire ici ?
OSSIP - Mes adieux!
PLATONOV.Tu pars donc ?
OSSIP. - C'est pas moi qui pars, c'est vous.
PLATONOV. - Ah oui! Et comment le sais-tu?
OSSIP - Je le sais!
PLATONOV. - Je ne pars pas, vieux. Tu tes dérangé pour rien.
OSSIP - Si vous partez...
PLATONOV. - Toi, tu sais toujours tout, et tu t'occupes de tout... Tu es un
sorcier, Ossip. Je pars, mon cher. Tu as raison.
OSSIP. - Vous voyez bien. Et même, je sais où vous allez!
PLATONOV. - Vrai ? Voilà comme tu es .. Moi, je n 'en sais rien. Tu es
un devin, un vrai devin! Alors, dis, pour où est-ce que je pars ?
OSSIP. - Vous y tenez ?
PLATONOV. - Comment donc! Ça m intéresse! Pour où?
OSSIP. - Pour l'autre monde.
PLATONOV. - C'est loin! (Une pause ) Une devinette. N'est-ce pas toi qui vas
m'y expédier ?
OSSIP - Pour vous servir. Je vous apporte votre feuille de route.
PLATONOV. - Très heureux! Hum.. C'est donc que tu es venu pour me tuer
?
OSSIP. - Pour vous sera servir...
PLATONOV, le singeant. - Pour vous servir...Quel culot! Diantre! Il est venu
m'expedier dans l'autre monde... Hum... Et tu vas le faire pour ton propre compte,
ou est-ce une commission que tu fais ?
OSSIP, montre un billet de vingt cinq roubles. - Voici... Venguérovitch
m'a payé pour que je vous estropie à vie, Votre Honneurr ! (Il
déchire l'argent.)
PLATONOV. - Aha!... Ce vieux Venguérovitch ?
OSSIP. - Lui-même...
PLATONOV. - Et pourquoi as-tu déchiré l'argent? Tu veux -peut-être
montrer ta grandeur d'âme?
OSSIP. - Je ne sais pas montrer ma grandeur d'âme, et j'ai déchiré
l'argent, pour que vous ne croyiez pas, dans l'autre monde, que je vous ai tué
pour de l'argent.
PLATONOV, se lève et marche de long en large.
OSSIP. - Vous avez peur, Mikhail Vassilitch ? Ça fait peur? ( Il rit.)
Courez, criez! Je ne vous barre pas le passage, je ne ferme pas la porte: la
sortie est là. Allez, ameutez le monde, dites qu'Ossip est venu vous
tuer! Et c'est vrai... Vous n'en croyez peut-être rien? (une pause.)
PLATONOV, s'approche d'Ossip et 1'examine.. - C'est étonnant! (Une pause.)
Qu'est-ce que tu as à sourire? Imbécile! (Il lui donne un coup
sur la main.) Cesse de sourire! Je te parle! Silence! Je vais te pendre! Je
vais te mettre en pièces, bandit! (Il s'éloigne de lui, rapidement.)
Non... Ne me mets pas hors de moi... C'est mauvais pour moi... Ca me fait mal.
OSSIP. - Frappez-moi sur la joue pour ma malfaisance.
PLATONOV. - Tant que tu veux! (Il s'approche d'Ossip et lui donne une giffle.)
Alors? Tu chancelles? Attends un peu, et comment que tu vas chanceler lorsque
tu recevras la bastonnade, lorsqu'on tapera sur ta tête creuse! Tu te
rappelles comment est mort Fillia, le grêlé?
OSSIP. - Un chien mérite une mort de chien.
PLATONOV. - Beh... ce que tu es ignoble, animal! Je suis prêt à
t'esquinter, scélérat! Pourquoi, âme vile, leur fais-tu
du tort, aux gens; Tu es sur eux comme une maladie, comme une balle perdue !
Qu'est-ce qu'ils t'ont fait? Beh... salaud! (Il le gifle.) Dégueulasse!
Je vais te... je vais te... (Il s'éloigne rapidement d'Ossip.) Va!
OSSIP. - Crachez-moi au visage pour ma malfaisance!
P~ATONOV. - Je n'ai pas de salive à perdre!
OSSIP, se levant. - C'est vous qui osez?
PLATONOV.Dehors, tant que je ne t ai pas écrabouillé.
OSSIP. - Vous n'avez pas le droit! Vous êtes un malfaisant vous-même!
PLATONOV. - Essaie un peu de me répondre encore une fois! (Il s'approche
.de lui.) Je croyais que tu étais venu me tuer? Tiens! Tue! Le voilà!
Allons, tue donc!
OSSIP. - Je vous ai respecté, Platonov, je vous prenais pour un grand
monsieur! A l'heure qu'il est... Ça me fait pitié de vous
tuer, mais il le faut.. Il y a en vous trop de malfaisance ... Pourquoi la jeune
dame est-elle venue chez vous, aujourd'hui ?
PLATONOV, le secouant. - Allons, dépêche-toi! Tue! Tue!
OSSIP. - Et la générale, pourquoi elle est venue, après
l''autre? Vous la trompez donc, la générale? Et où est
votre femme? Quelle est la vraie de vraie des trois? Hein? Et vous n'êtes
pas une malfaisance, après ça? (Il le renverse `d'un croc-en-jambe
et tombe avec lui, par terre.)
PLATONOV. - Fous le camp! C'est moi qui t'aurai, pas toi! Je suis le plus fort!
(Ils luttent.) Doucement!
OSSIP. - Tournez donc sur le ventre! Ne me tordez pas le bras. Le bras n'est
pour rien dans affaire, pourquoi le tordre? C'est ça! Saluez bien bas
le général Voinitzev de m~ part, dans l'autre monde!
PLATONOV.Lâche-moi!
OSSIP,( sortant un couteau de sa ceinture,) - Doucement! Je vous tuerai quand
même'! ~Vous en avez de la force! Ça, c'est un homme! Pas envie
de mourir? Il ne fallait pas toucher à ce qui n'est pas à toi!
PLATONOV, crie. - Le bras.! Attends, attends!... Le bras!
OSSIP. -- Pas envie de mourir? Tu vas y aller, au royaume des cieux, et tout
de suite...
PLATONOV. - Ne me frappe pas dans le dos, bête de fer, frappe à
la poitrine! Le bras! lâche-moi, Ossip! Ma femme, mon fils... C'est ton
couteau qui brille ? Oh ! rage maudite!
(Sacha entre en courant,. )
les
mêmes et SACHA
SACHA. Quest-ce que c'est? (Elle pousse un cri.) Micha ! (Elle
arrive sur les deux hommes Ils luttent et se laisse tomber sur eux.) Que faites-vous
?
OSSIP. - Qui est-ce? Alexandra Ivanovna? (Il se [lève d'un bond.) Je
ne le tuerai pas! (A Sacha:) Prenez le couteau! (Il lui donne le couteau.) Je
ne l'égorgerai pas devant vous... Il restera vivant! Je l'égorgerai
plus tard! Il ne m'échappera pas (il saute par la fenêtre.)
PLATONOV, après une pause. - Diable d'homme.. Salut, Sacha C'est toi
n'est-ce pas? (il gémît.)
SACHA. - Il ne t'a rien cassé ? Tu peux te lever ? Vite!
PLATONOV. - Je ne sais pas... Cet animal est coulé dans la fonte.. Donne-moi
ta main! ( il se relève.) N'aie pas peur, ma chérie à moi...
Je suis intact Il m'a seulement un peu secoué...
SACHA. - sale bonhomme! Je t'ai bien dit de ne pas y toucher!
PLATONOV. - Ou est le divan! Tu me regardes ? Il est vivant,ton infidèle!
Tu le vois bien? (Il se couche sur le divan,.) Une chance que tu sois arrivée,
sans quoi, à l'heure qu'"il est, tu serais une petite veuve, et
moi, un cadavre!
SACHA. - Couche~toi sur l oreiller! (Elle lui met sous la tête un
oreiller.) Voilà ! (Elle s'assied à ses pieds.) Tu n'as mal nulle
part? (Une pause.) Pourquoi fermes-tu les yeux ?
PLATONOV. - Non, non... C'est rien.. Tu es venue, Sacha ? Tu es venue, mon trésor
? (Il lui baise la main. )
SACHA. - Notre Kolia est malade.
PLATONOV. Qu' est-ce qu' il a ?
SACHA. - Il tousse beaucoup, il brûle, il a une éruption sur tout
le corps... Voilà deux nuits qu'il ne dort pas et qu'il crie .. il ne
boit pas, ne mange pas . (elle pleure.) Il est très malade, Micha! J'ai
peur pour lui! tellement peur! Et j'ai fait un mauvais réve...
PLATONOV. - Et ton frérot, où est-il? Il est pourtant docteur!
SACHA. -- Lui ? Est-ce qu'il est capable de comprendre ? Il est venu il y a
quatre jours, en passant, il a fricoté un peu à droite, à
gauche, et Il est reparti... Je lui parle de la maladie de Kolia, et il se pince
et il baille.. Il m'a traitée de sotte.
PLATONOV - Il se permet, le ballot! Un jour il finira par se réveiller
trop tard pour lui-même Et par ne pas se visiter lorsqu'il sera malade.
SACHA. Que faire ?
PLATONOV. - Espérer pour le mieux. . Tu habites chez ton père
?
SACHA. Oui.
PLATONOV. - Qu' est-ce qu' il dit ?
SACHA. - Rien. Il se promène dans sa chambre, fume la pipe, et se dit
qu'il devrait aller te voir. Je suis arrivée chez lui la tête à
1'envers, et il a deviné que je... que nous deux... Que faire avec Kolia?
PLATONOV. - Ne t'inquiète pas, Sacha!
SACHA, - Comment veux-tu que je ne m'inquiète pas ? S'il mourait, que
Dieu nous en préserve, qu'est-ce que nous allons devenir ?
PLATONOV - Non, Dieu ne te prendra pas notre petit! Il n'a pas de raison de
te punir ! Si ce n'est de ce que tu te sois mariée avec un vaurien! (une
pause.) Veille sur mon petit bonhomme, Sacha! Garde-le-moi, et je te jure par
tout ce que j'ai de sacré que j'en ferai un homme! Chacun de ses pas
t'apportera de la joie. Le malheureux, il est lui aussi un Platonov! S'il pouvait
changer de nom... Comme homme, je suis petit, médiocre, mais comme père,
je serai grand! Ne crains pas pour son sort! Ah, mon bras! (II gémit.)
J'ai mal à ce bras... Il me l'a bien esquinté, le brigand... Qu'est-ce
qu'il a, ce bras ? (Il l:'examine.) Il est tout rouge... Tant pis! Voilà
comment vont les choses, Sacha. . Ton fils te donnera du bonheur! Tu ris.. Ris,
mon trésor! Voilà que tu pleures ? Pourquoi pleures-tu? Hum..
Ne pleure pas, Sacha! (il prend la tête de Sacha dans son bras ) Tu es
venue .. Pourquoi t'en es-tu allée ? Ne pleure pas, mon petit rat! Pourquoi,
des larmes? Puisque je t'aime, ma petite fille!... Très fort! Je suis
très coupable, mais qu'y faire ? Il faut pardonner... Voyons, voyons...
SACHA. - L'intrigue est terminée ?
SACHA. - Elle n'est pas terminée ?
PLATONOV - Comment te dire ? Il n'y a pas d'intrigue du tout, mais une sorte
de monstrueux galimatia .. N'en sois pas trop troublée! Si ce n'est pas
terminé, ça le sera... bientôt!
SACHA. - Mais quand ?
PLATONOV Je suppose, bientôt! Bientôt nous reprendrons notre
vie comme avant, Sacha! Que toutes ces nouveautés aillent au diable!
J'en peux plus, je suis vanné... Ne crois pas à la solidité
de ce nud, comme vie n'y crois pas moi-même! Il n'est pas trés
fortement serré... Elle en aura assez la première, et sera la
première à se moquer de ce nud, à en rire avec amertume.
Sophie et moi nous ne formons, pas un couple. Ce qui fermente en elle, a depuis
longtemps fini de fermenter en moi; elle regarde avec des larmes attendries
ce que je ne peux pas voir sans rire... Nous ne formons pas un couple... (Une
pause.) tu dois me croire! Sophia ne sera pas longtemps ta rivale... Sacha,
qu'est-ce que tu as ?
SACHA, se lève en chancelant.
PLATONOV, se lève. Sacha!
SACHA. - Tu es... tu es avec Sophia ? Pas avec:la générale ?
PLATONOV. - Tu ne le avais donc pas ?
SACHA. - Avec Sophia ? Cest immonde... C'est ignoble...
PLATONOV. - Qu'est-ce que tu as ? Tu es pâle, tu chancelles.. (Il gémit.)
Ne me tourmente pas, Sacha, toi, au moins! J'ai mal à mon bras, et tu
viens encore... Est-ce possible que... que ce soit pour toi une surprise? Tu
l'entends pour la première fois ? Alors pourquoi es-tu partie ? Pas à
cause de Sophia ?
SACHA. - Avec la générale, bon, tant pis mais avec la femme d'un
autre? C'est ignoble, c'est un péché... Je ne m'attendais pas
à une pareille ignominie de ta part! Le bon Dieu te punira, tu es un
homme malhonnête ! (Elle va vers la porte.)
PLATONOV,( après un temps. ) où vas-tu?
SACHA, (s'arrete près de la porte). Mes voeux de bonheur.
PLATONOV. Pour qui ?
SACHA. - Pour vous et Sophia Egorovna.
PLATONOV.Tu as lu trop de mauvais romans, Sacha! Je suis encore toi
'' pour toi: nous avons un gosse, et je suis... tout de même tton mari!
Quant au bonheur je n'en ai qu'en faire! Reste, Sacha! Voilà que tu pars.
Et, faut croire, pour toujours?
SACHA - Je ne peux pals! Oh ! mon Dieu, mon Dieu...
PLATONOV. - Tu ne peux pas?
SACHA. - Mon Dieu... C'est-il possible? (Elle met les mains sur ses tempes et
se met à croupetons ) Je... je ne sais que faire...
PLATONOV. - Tu ne peux pas? ( Il s'approche d'elle.) Tu es libre... Si tu restais
quand même! Pourquoi pleurer petite sotte ? (Une pause ) Oh! Sacha! Sacha...
Mon péché est grand, mais est-il vraiment impardonnable?
SACHA - T'es-tu pardonné, toi-même?
PLATONOV. - Question philosophique! (Il lui pose un baiser sur la tête.)
Si tu restais... Je me repens, pas vrai? Sans toi, c'est la vodka, la crasse,
des Ossip... J'en peux plus! Reste, non pas comme ma femme, comme une infirmière!
Vous, les femmes, vous êtes une drôle d'engeance. Tu es drôle,
Sacha! Qu'est-ce que ça te coûterait à toi qui nourris ce
coquin d'Ossip, qui poursuis de tes bienfaits chiens et chats, qui jusqu'à
minuit dis des prières pour on ne sait quels ennemis qu'est-ce que ça
te coûterait de jeter un morceau de pain à ton mari coupable et
repentant? Pourquoi est-ce que, toi aussi,. tu es là comme un bourreau?
Sacha, reste! (il la prend dans ses bras.) Je ne peux pas me passer de nourrice!
Je suis un misérable, j'ai enlevé la femme d'un ami, je suis l'amant
de Sophia, je suis même peut-être l'amant de la générale,
j'ai un tas de femmes je suis un grand tricheur du point de vue de la farnille...
Indigne-toi, révolte-toi! Mais qui donc t'aimera jamais comme je t'aime?
Qui saura jamais comprendre comme moi, ce que tu veux? Pour qui feras-tu la
cuisine, à qui serviras-tu une soupe trop salée? Tu aurais raison
de partir... la justice l'exige... (Il la soulèvee dans ses bras) Qui
te portera ainsi ? Que feras-tu, ma petite fille en or, sans moi ?
SACHA. - Je ne peux: pas! Lâche-moi! Je suis perdue! Tu plaisantes, et
moi, c'est ma fin (Elle se dégage.) Tu sais pourtant qu'il n'y a pas
de quoi rire ? Adieu. Je ne peux pas vivre avec toi! Maintenant tous les gens
penseront de toi que tu es un s.alaud.! Comment veux-tu que je le supporte ?
(Elle sanglote.)
PLATONOV. - Va, et que Dieu te garde! (Il lui pose un baiser sur la tête
se couche sur le divan.) Je comprends.
SACHA. - Tu as détruit notre famille... Nous avons vécu tranquilles,
heureux. . Il ny avait pas plus heureux que moi, au monde... (elle s'assied.)
Qu'est-ce que tu as fait, Micha ? (Elle se lève.) Qu'est-ce que tu as
fait? On ne peut pas revenir en arrière... Je suis une femme perdue...
(Elle sanglotte.)
PLATONOV. - Va, que Dieu te garde!
SACHA. - Adieu! Tu ne me reverras plus! Ne viens pas chez nous... Mon père
t'emmènera Kolia quand tu voudras le voir... Dieu te pardonnera comme
je te pardonne! Tu l'as détruite, notre vie!
PLATONOV. - Tu es partie?
SACHA - Je suis partie... Oui... (Elle regarde un moment Platonov et sort. )