Lire
à la fin de ce texte les commentaires de J. Truchet ( in la
pléiade )
Desmarets de
Saint-Sorlin
1637
PERSONNAGES
ARTABAZE.,
capitan. AMIDOR, poète
extravagant. FILIDAN, amoureux en idée. PHALANTE, riche imaginaire. MELISSE, amoureuse d'Alexandre le
Grand. HESPERIE, qui croit que chacun l'aime. SESTIANE, amoureuse de la
Comédie[1]. ALCIDON,
père de ces trois filles. LYSANDRE, parent d Alcidon.
ACTE PREMIER
SCÈNE
PREMIÈRE
ARTABAZE
Je suis l'amour
du Ciel, et l'effroi de la terre
L'ennemi de la
paix, le foudre de la guerre
Des dames le
désir, des maris la terreur
Et je
traîne avec moi le carnage et l'horreur.
Le dieu Mars
m'engendra d'une fière Amazone
Et je
suçai le lait d'une affreuse lionne
On parle des
travaux d'Hercule encore enfant
Qu'il fut de
deux serpents au berceau triomphant
Mais me fut-il
égal, puisque par un caprice
Étant las
de téter, j'étranglai ma nourrice?
Ma mère,
qui trouva cet acte sans raison
Désirant
me punir, me prit en trahison
Mais, ayant en
horreur les actions poltronnes,
J’exterminai
dès lors toutes les Amazones[2].
Mon père
à cet exploit se voulut opposer,
Et parant
quelques coups pensait me maîtriser;
Mais craignant
ma valeur aux Dieux mêmes funeste,
Il alla se
sauver dans la voûte céleste.
Le soleil qui
voit tout, voyant que sans effort
Je dompterais le
ciel, entreprend notre accord:
De Mars en ma
faveur la puissance il resserre,
Et le fait Mars
du ciel, moi celui de la terre.
Lors, pour
récompenser ce juste jugement,
Voyant que le
soleil courait incessamment,
J'arrêtai
pour jamais sa course vagabonde,
Et le voulus
placer dans le centre du monde;
J'ordonnai qu'en
repos il nous donnât le jour,
Que la terre et
les cieux roulassent à l'entour;
Et c'est par mon
pouvoir, et par cette aventure,
Qu'en nos jours
s'est changé l'ordre de la nature.
Ma seule
autorité donna ce mouvement
A l'immobile
corps du plus lourd élément;
De là
vient le sujet de ces grands dialogues,
Et des nouveaux
avis des plus fins astrologues[3].
J'ai fait depuis
ce temps mille combats divers,
Et j'aurais de
mortels dépeuplé l'univers;
Mais voyant
qu'à me plaire un sexe s'évertue,
J'en refais par
pitié tout autant que j'en tue.
Où
sont-ils à présent tous ces grands conquérants?
Ces fleaux du
genre humain? ces illustres tyrans?
Un Hercule, un
Achille, un Alexandre, un Cyre,
Tous ceux qui
des Romains augmentèrent l'empire,
Qui firent par
le fer tant de monde périr?
C'est ma seule
valeur qui les a fait mourir.
Où sont
les larges murs de cette Babylone?
Ninive,
Athène, Argos, Thèbes, Lacédémone,
Carthage la
fameuse, et le grand Ilion
Et j'en pourrais
nombrer encore un million?
Ces superbes
cités sont en poudre réduites:
Je les pris par
assaut, puis je les ai détruites.
Mais je ne vois
plus rien qui m'ose résister:
Nul guerrier à
mes yeux ne s'ose présenter.
Quoi donc ! je
suis oisif? et je serais si lâche
Que mon bras
pût avoir tant soit peu de relâche?
Ô Dieux,
faites sortir d'un antre ténébreux
Quelque horrible
géant, ou quelque monstre affreux;
S'il faut que ma
valeur manque un jour de matière
Je vais faire du
monde un vaste cimetière.
SCÈNE 2
AMIDOR, ARTABAZE
AMIDOR
Je sors des
antres noirs du mont Parnassien
Où le
fils poil-doré du grand Saturnien[4]
Dans l'esprit
forge-vers plante le dithyrambe,
L'épode[5],
I'antistrophe, et le tragique ïambe.
ARTABAZE
Quel prodige est ceci? Je suis saisi d'horreur.
AMIDOR
Profane,
éloigne-toi, j'entre dans ma fureur.
Jach iach
évoé ![6]
ARTABAZE
La
rage le possède;
Contre les
furieux la fuite est le remède.
SCÈNE 3
AMIDOR
Que de descriptions
montent en mon cerveau
Ainsi que les
vapeurs d'un fumeux vin nouveau!
Sus donc,
représentons une fête bachique,
Un orage, un
beau temps, par un vers héroïque,
Plein de mots
ampoulés, d'épithètes puissants,
Et surtout
évitons les termes languissants.
Déjà
de toutes parts j'entrevois les brigades
De ces Dieux
chèvre-pieds[7], et des
folles Ménades,
Qui s'en vont célébrer le mystère Orgien
En l'honneur
immortel du père Bromien[8].
Je vois ce
cuisse-né, suivi du bon Silène,
Qui du gosier
exhale une vineuse haleine,
Et son âne
fuyant parmi les Mimallons
Qui le bras
enthyrsé courent par les vallons[9].
Mais où
va cette troupe ? Elle s’est égarée
Aux solitaires
bords du floflotant[10]
Nérée.
Rien ne me
paraît plus que rochers caverneux;
J'entends de loin le bruit d'un vent
tourbillonneux.
Quel voile
ténébreux encourtine[11]
ma tête?
Eole a
déchaîné ses vites postillons
Qui galopent
déjà les humides sillons.
Le ciel
porte-flambeaux d'un noir manteau se couvre
Je ne vois qu'un
éclair qui le perce et l'entrouvre.
Quels feux
virevoltants nous redonnent le jour?
Mais la nuit
aussitôt rembrunit ce séjour;
Ce tonnerre
orageux, qui menace et qui gronde,
Élochera[12]
bientôt la machine du monde.
Quel
éclat, quel fracas confond les éléments?
Jupin de
l'Univers sape les fondements;
Ce coup
jusqu'à Ténare[13]
a fait une ouverture,
Et fera pour le moins avorter la Nature.
SCÈNE 4
FILIDAN, AMIDOR
FILIDAN
Voici ce cher
ami, cet esprit merveilleux.
AMIDOR
Mettons-nous
à l'abri d'un rocher sourcilleux[14]:
Évitons
la tempête.
FILIDAN
Ah!
sans doute il compose,
Ou parle
à quelque Dieu de la Métamorphose[15].
AMIDOR
Je vois
l'adorateur de tous mes nobles vers
Mais dont les
jugements sont toujours de travers.
Tout ce qu'il
n'entend pas aussitôt il l'admire.
Je m'en vais
l'éprouver, car j'en veux un peu rire.
Suivons. L'orage
cesse, et tout l'air s'éclaircit;
Des vents
brise-vaisseaux l’haleine s’adoucit.
Le calme, qui
revient aux ondes marinières
Chasse le
pâle effroi des faces nautonnières[16];
Le nuage
s'enfuit, le ciel se fait plus pur,
Et joyeux se
revêt de sa robe d'azur.
FILIDAN
Oserait-on sans
crime, au moins sans mille excuses,
Vous faire
abandonner l'entretien de vos Muses?
AMIDOR
Filidan,
laisse-moi dans ces divins transports
Décrire
la beauté que j'aperçus alors.
( Je m'en vais l'attraper ) Une beauté céleste
A mes yeux
étonnés soudain se manifeste;
Tant de rares
trésors en un corps assemblés
Me rendirent
sans voix, mes sens furent troublés,
De mille traits
perçants je ressentis la touche.
Le coral[17]
de ses yeux, et l'azur de sa bouche,
L'or bruni de
son teint, l'argent de ses cheveux,
L'ébène
de ses dents digne de mille vœux,
Ses regards sans
arrêt, sans nulles étincelles,
Ses beaux
tétins longuets cachés sous ses aisselles,
Ses bras grands
et menus ainsi que des fuseaux,
Ses deux cuisses
sans chair, ou plutôt deux roseaux,
La grandeur de
ses pieds, et sa petite taille,
Livrèrent
à mon cœur une horrible bataille.
FILIDAN
Ah Dieux!
qu'elle était belle! Ô roi des beaux esprits,
Vis-tu tant de
beautés? Ah! que j'en suis épris!
Dis-moi ce
qu'elle fit, et contente mon âme
Qui sent
déjà pour elle une secrète flamme.
AMIDOR
(Inventons un
discours qui n'aura point de sens.)
Elle me dit ces
mots pleins de charmes puissants:
« Favori
d'Apollon, dont la verve extatique
Anime les
ressorts d'un âme frénétique[18],
Et par des
visions produit mille plaisirs
Qui charment la
vigueur des plus nobles désirs,
Apprends
à révérer par un fatal augure
De ma
pudicité l'adorable figure. »
FILIDAN
Ô
merveilleux discours, ô mots sentencieux,
Capables
d'arrêter les plus audacieux!
Dieux! qu'en
toutes façons cette belle est charmante,
Et que je sens
pour elle une ardeur véhémente!
Ami, que te
dit-elle encore outre cela?
AMIDOR
Elle me dit
adieu, puis elle s'en alla.
FILIDAN
J'adore en mon
esprit cette beauté divine
Qui sans doute
du Ciel tire son origine.
Je me meurs,
Amidor, du désir de la voir.
Quand aurai-je
cet heur?
AMIDOR
Peut-être
sur le soir,
Quand la
brunette nuit, développant ses voiles,
Conduira par le
ciel le grand bal des étoiles.
FILIDAN
Ô
merveilleux effet de ses rares beautés!
Incomparable
amas de nobles qualités!
Déjà
de liberté mon âme est dépourvue:
Le récit
m'a blessé, je mourrai de sa vue.
Prépare-toi,
mon cœur, à mille maux divers.
AMIDOR
Adieu, sur ce
sujet je vais faire des vers.
FILIDAN
Que tu
m'obligeras! Amidor, je t'en prie
Tandis, pour
soulager l'excès de ma furie,
Je m'en vais
soupirer l'ardeur de mon amour,
Et toucher de
pitié tous ces lieux d'alentour.
SCÈNE 5
FILIDAN
0 Dieux! qu'une
beauté parfaitement décrite
De désirs
amoureux en nos âmes excite!
Et que la
poésie a des charmes puissants
Pour gagner nos
esprits et captiver nos sens!
Par un ordre
pompeux de paroles plaisantes,
Elle rend
à nos yeux les choses si présentes
Que l'on pense
en effet les connaître et les voir,
Et le cœur
le plus dur s'en pourrait émouvoir.
C'est chose
étrange aussi d'éprouver que mon âme
Soit jusques
à ce point susceptible de flamme,
Et que le seul
récit d'une extrême beauté
Puisse rendre
à l'instant mon esprit arrêté.
Mais quoi! tous
les matins je me tâte et m'essaie,
Et crois sentir
au cœur quelque amoureuse plaie,
Sans savoir
toutefois qui cause ce tourment,
Si bien que
quand je sors je m'enflamme aisément.
La
première beauté qu'en chemin je rencontre,
Qui de quelques
attraits me vient faire la montre,
D'un seul de ses
regards me rend outrepercé,
Et fait
bientôt mourir un cœur déjà blessé.
Même si je
n'en vois comme je les désire,
Qu'un ami
seulement s'approche pour me dire:
« Je viens
de voir des yeux, ah! c’est pour en mourir »,
Aussitôt
je me meurs, je ne fais que courir,
Je vais de
toutes parts pour offrir ma franchise
À ces
yeux inconnus dont mon âme est éprise.
Mais jamais nul
récit ne m'a si fort touché:
J'étais
à son discours par l'oreille attaché,
Et mon âme
aussitôt, d'un doux charme enivrée,
S'est à
tant de beautés innocemment livrée.
0 merveilleux tableau de mille doux
attraits
Qu'une Muse en
mon cœur a doucement pourtraits,
Ouvrage sans
pareil, agréable peinture
Du plus beau des
objets qu'ait produit la Nature,
Adorable copie,
et dont l'original
N'est que d'or
et d'azur, d'ébéne et de coral,
Et tant d'autres
trésors que mon âme confuse
Admirait au
récit de cette docte Muse,
Dieux! que je
vous chéris! et que pour vous aimer
Je sens de feux
plaisants qui me vont consommer !
Mais, aimable
beauté que j'adore en idée,
Par qui ma
liberté se trouve possédée,
Quel bienheureux
endroit de la terre ou des cieux
Jouit du bel
aspect de vos aimables yeux?
Aux traits de la
pitié soyez un peu sensible,
Soulagez votre
amant, et vous rendez visible:
Beauté,
je vais mourir si je tarde à vous voir.
Quel moyen dans
mon mal d'attendre jusqu'au soir?
Je n'en puis
plus, beauté dont je porte l'image,
Mon désir
violent se va tourner en rage,
Je pâme,
je me meurs. Ô céleste beauté,
En quel
excès de maux m'as-tu précipité ?
SCÈNE 6
HESPÉRIE, FILIDAN
HESPÉRIE
Cet amant s'est
pâmé dès l'heure qu'il m'a vue.
De quels traits,
ma beauté, le Ciel t'a-t'il pourvue?
En sortant du
logis je ne puis faire un pas
Que mes yeux
aussitôt ne causent un trépas.
Pour moi je ne
sais plus quel conseil je dois suivre:
Le monde va
périr, si l'on me laisse vivre.
Dieux! que je
suis à craindre! Est-il rien sous les cieux
Au genre des
humains plus fatal que mes yeux?
Quand je fus
mise au jour, la Nature peu fine
Pensant faire un
chef-d'œuvre avançait sa ruine.
On compterait
plutôt les feuilles des forêts,
Les sablons de
la mer, les épis de Cérès
Les fleurs dont
au printemps la terre se couronne,
Les
glaçons de l'hiver, les raisins de l'automne,
Et les feux qui
des nuits assistent le flambeau[19],
Que le nombre
d'amants que j'ai mis au tombeau.
Celui-ci va
mourir; lui rendrai-je la vie?
Je le puis
d’un seul mot, la pitié m'y convie.
FILIDAN
Bel azur, beau
coral, aimables qualités!
HESPÉRIE
Il n’est
pas mort encore, il rêve à mes beautés.
Le doıs-je
secourir ? J’en ai la fantaisie[20];
Mais ceux qui me
verraient mourraient de jalousie.
Que mon sort est
cruel ! Je ne fais que du mal,
Et ne puis faire
un bien sans tuer un rival,
Je ne puis
ouvrir l'œil sans faire une blessure
Ni faire un pas
sans voir une âme à la torture.
Si fuyant ces
malheurs je rentre en la maison,
Ceux qui servent
chez nous tombent en pâmoison
Ils
cèdent aux rigueurs d'une flamme contrainte
Et tremblent
devant moi de respect et de crainte:
Ils ne sauraient
me voir sinon en m'adorant,
Ni me dire un
seul mot sinon en soupirant.
Ils baissent
aussitôt leur amoureuse bouche.
Pour donner un
baiser aux choses que je touche
Toutefois ma
beauté les sait si bien ravir
Qu'ils
s'estiment des rois dans l'heur de me servir[21].
A table je
redoute un breuvage de charmes[22],
Ou qu'un d'eux
ne me donne à boire de ses larmes;
Je crains que
quelque amant n'ait avant son trépas
Ordonné
que son cœur servît à mes repas.
Souvent sur ce
penser en mangeant je frissonne
Croyant qu'on le
déguise, et qu'on me l'assaisonne
Pour mettre dans
mon sein, par ce trait décevant,
Au moins
après la mort ce qu'il ne put vivant.
Les amants sont
bien fins au plus fort de leur rage,
Et sont
ingénieux mêmes à leur dommage.
On dresse pour
m'avoir cent pièges tous les jours.
Mon père
aussi me veille, et craint tous ces amours
Glorieux de
m'avoir, aux Dieux il se compare
Et quelquefois,
ravi d'un miracle si rare
Doute s'il me
fit naître, ou si je vins des cieux.
Dans la maison
sans cesse on a sur moi les yeux,
Lui plein
d'étonnement, mes sœurs pleines d'envie,
Les autres
pleins d’amour : belle mais triste vie !
Une
beauté si grande est-elle à désirer?
Mais
j'aperçois mon père, il me faut retirer.
SCÈNE 7
LYSANDRE, ALCIDON,
FILIDAN
LYSANDRE
Il est vrai
qu’il est temps de penser à vos filles.
Elles sont
toutes trois vertueuses, gentilles,
D’âge à les marier;
puis vous avez du bien;
Ne
différez donc plus, la garde n’en vaut rien.
ALCIDON
Lysandre, il est
certain; mais pour choisir un gendre
Il s’en
présente tant qu’on ne sait lequel prendre.
Puis je suis
d’une humeur que tout peut contenter:
Pas un d'eux
à mon gré ne se doit rejeter:
S’il est
vieux, il rendra sa famille opulente,
S'il est jeune,
ma fille en sera plus contente,
S'il est beau,
je dis lors: « Beauté n'a point de prix »
S'il a de la
laideur: « La nuit tous chats sont gris »,
S'il est gai,
qu'il pourra réjouir ma vieillesse,
Et s'il est
sérieux, qu'il a de la sagesse,
S'il est
courtois: « Sans doute il vient d'un noble sang »,
S'il est
présomptueux: « Il sait tenir son rang »,
S'il est
entreprenant: « C'est qu'il a du courage »,
S'il se tient
à couvert: « Il redoute l'orage »,
S'il est prompt:
« 0n perd tout souvent pour différer »,
S'il est lent:
« Pour bien faire, il faut considérer »,
S'il
révère les Dieux: « Ils lui seront prospères »
S'il trompe pour
gaigner: « Il fera ses affaires »,
Enfin quelque
parti qui s'ose présenter,
Toujours je
trouve en lui de quoi me contenter.
LYSANDRE
Que sert donc,
Alcidon, une plus longue attente
Si vous trouvez
partout quelqu’un qui vous contente?
ALCIDON
Quand je choisis
un gendre, un qui va survenir
Me plaît,
et du premier m'ôte le souvenir;
Si pour s'offrir
à moi quelque troisième arrive,
Je trouve
quelque chose en lui qui me captive
LYSANDRE
Mais pour en
bien juger et pour faire un bon choix,
Il faut dans la
balance en mettre deux ou trois,
Ceux de qui le
talent plus solide vous semble,
Les peser
meurement, les comparer ensemble.
ALCIDON
C'est ce que je
ne puis, que sert de le nier?
Je conclus sans
faillir toujours pour le dernier.
LYSANDRE
Votre esprit est
étrange.
FILIDAN
L’objet
de mon martyre...
ALCIDON
Dieux! qu'est-ce
que j'entends?
LYSANDRE
Quelque amant qui soupire.
ALCIDON
Sa prunelle
mourante à peine voit le jour.
FILIDAN
Est-ce toi, cher
ami, père de mon amour?
ALCIDON
Sans doute il
est épris de l'une de mes filles.
FILIDAN
Merveille de nos
jours, astre luisant qui brilles
Dans le ciel des
beautés, viens te montrer à moi;
Regarde si je
manque ou d'ardeur ou de foi;
Fais-toi voir
à mes yeux, viens soulager ma peine.
Que te sert
d'affecter le titre d'inhumaine?
Prends
pitié de mon mal; tu ne l'ignores pas,
Les Dieux
n'ignorent rien; du moins vois mon trépas;
Doutes-tu de mes
feux? apprends-les de ma bouche.
ALCIDON
Lysandre en
vérité sa passion me touche.
Son amour m'a
rendu tout saisi de pitié.
Aussi n'est-il
rien tel qu'une belle amitié[23].
LYSANDRE
Il est
déjà vaincu.
ALCIDON
J'aimerais
mieux un gendre
Qui
chérît sa moitié d'une amour aussi tendre,
Qu'un qui
posséderait les plus riches trésors,
Et toutes les
beautés de l'esprit et du corps.
Le savoir et les
biens, sans la flamme amoureuse,
Ne peuvent
jamais rendre une alliance heureuse.
FILIDAN
Cessez, mes
chers amis, de flatter mon malheur;
Ou bien de
quelque espoir soulagez ma douleur.
ALCIDON
Consolez-vous,
mon fils, ayez bonne espérance;
Je veux
récompenser cette rare constance.
J'entreprends de
guérir vos désirs enflammés;
Vous aurez
aujourd'hui celle que vous aimez.
FILIDAN
Puis-je obtenir
de vous le bonheur que j'espère?
Ah! je vous
nommerai mon salut et mon père.
ALCIDON
Croyez que dans
ce soir je vous rendrai content.
LYSANDRE
Quand un autre viendra vous en direz
autant.
ALCIDON
Je veux dedans
ce jour, sans prendre un plus long terme,
Choisir ceux
qu'il me faut, d'une volonté ferme.
LYSANDRE
C'est beaucoup
pour un jour.
FILIDAN
Me
la ferez-vous voir?
ALCIDON
Oui, prenez bon
courage. Adieu jusqu’à ce soir.
FILIDAN
Que ce
retardement pour voir ses divins charmes
Me doit
coûter encor de soupirs et de larmes !
ACTE II
SCÈNE
PREMIÈRE
PHALANTE, MÉLISSE
PHALANTE
Rigoureuse
Mélisse, à qui réservez-vous
Ce cœur si
plein d'orgueil, si rempli de courroux?
MÉLISSE
Phalante,
à nul de ceux que l'on voit sur la terre.
PHALANTE
Voulez-vous
à l'Amour toujours faire la guerre?
MÉLISSE
Non, mais quand
je verrais le plus beau des humains,
Il ne peut en
m'aimant avoir que des dédains.
PHALANTE
D'où vous
vient cette humeur?
MÉLISSE
Je
veux bien vous l'apprendre
Après ce
que j'ai lu de ce grand Alexandre,
Ce dieu de la
valeur, vainqueur de l'Univers,
Qui dans si peu
de temps fit tant d'exploits divers,
Beau, courtois,
libéral[24], adroit,
savant et sage,
Qui trouva tout
danger moindre que son courage,
Qui borna son
empire où commence le jour,
Je ne puis rien
trouver digne de mon amour.
C'est lui dont
le mérite a captivé mon âme
C'est lui pour
qui je sens une amoureuse flamme
Et doit-on
s'étonner si ce puissant vainqueur
Ayant
dompté la terre, a su dompter mon cœur?
PHALANTE
Mais c'est une
chimère où votre amour se fonde:
Car que vous
sert d'aimer ce qui n'est plus au monde?
MÉLISSE
Nommer une
chimère un héros indompté?
Ô Dieux!
puis-je souffrir cette témérité?
PHALANTE
Mélisse
mon désir, n'entrez pas en colère;
Mais au moins
dites-moi comment se peut-il faire
D'aimer un
inconnu, que vous ne pouvez voir,
Et dont se peut
l'idée à peine concevoir?
MÉLISSE
Appeler inconnu
celui de qui l'histoire
A décrit
les beaux faits tout rayonnants de gloire
De qui la
renommée épandue en tous lieux
Couvre toute la
terre, et s'étend jusqu'aux cieux?
Ce manque de
raison n'est pas compréhensible.
PHALANTE
Mais j'appelle
inconnu ce qui n'est pas visible.
MÉLISSE
Je le connais
assez, je le vois tous les jours,
Je lui rends mes
devoirs, et lui dis mes amours.
PHALANTE
Quoi! vous parlez
à lui?
MÉLISSE
Je parle à son image,
Qui garde tous
les traits de son charmant visage.
PHALANTE
Une image
à mon gré ne charme point les yeux.
MELISSE
Toutefois en
image on adore les Dieux
PHALANTE
Ou l'avez-vous
trouvée?.
MELISSE
Un tome de Plutarque
M'a fourni le
pourtrait de ce divin monarque,
Et pour le mieux
chérir je le porte en mon sein.
PHALANTE
Quittez, belle,
quittez cet étrange dessein.
Ce vaillant
Alexandre, agréable Mélisse,
N'a plus aucun
pouvoir de vous rendre service.
MELISSE
Quoi! pour mon
serviteur voudrais-je un si grand roi,
De qui tout
l'Univers a révéré la loi?
Phalante, il
était né pour commander au monde.
PHALANTE
Vous aimez d'une
amour qui n'a point de seconde.
Mais vous feriez
bien mieux de choisir un amant
Qui pourrait en
effet vous chérir constamment,
Un homme comme
moi, dont l'extrême richesse
Peut de mille
plaisirs combler votre jeunesse.
MÉLISSE
Pensez-vous par
ce charme abuser mes esprits?
Quittez ce vain
espoir, j'ai vos biens à mépris.
Osez-vous
comparer quelque pauvre héritage,
Quelque champ
malheureux qui vous vint en partage,
Aux
trésors infinis de ce grand conquérant
Qui prodiguait
les biens du pays odorant[25]
De la Perse et
de l'Inde, et souvent à des princes
Comme
présents légers a donné des provinces?
PHALANTE
Mais où
sont ces trésors? Les avez-vous ici?
MELISSE
Comme il les
méprisait, je les méprise aussi.
PHALANTE
Je perds ici le
temps; elle est préoccupée
Par cette folle
amour dont sa tête est frappée.
Je vais voir ses
parents, ils me recevront mieux:
Mes grands biens
me rendront agréable à leurs yeux.
De la
guérir, sans eux je n'ose l'entreprendre.
Adieu jusqu'au
revoir, l'amante d'Alexandre.
MELISSE
Adieu, mortel
chétif, qui t'oses comparer
À ce
vaillant héros que tu dois adorer.
SCÈNE II
HESPÉRIE,
MÉLISSE
HESPÉRIE
Ma sœur,
dites le vrai: que vous disait Phalante?
MELISSE
Il me parlait
d'amour.
HESPÉRIE
O
la ruse excellente!
Donc il
s'adresse à vous, n'osant pas m'aborder
Pour vous donner
le soin de me persuader?
MÉLISSE
Ne flattez
point, ma sœur, votre esprit de la sorte.
Phalante me
parlait de l'amour qu'il me porte;
Que si je veux
fléchir mon cœur trop rigoureux,
Ses biens me
pourront mettre en un état heureux.
Mais quoi!
jugez, ma sœur, quel conseil je dois prendre
Et si je puis
l'aimer, aimant un Alexandre.
HESPÉRIE
Vous pensez
m'abuser d'un entretien moqueur,
Pour prendre
mieux le temps[26] de le
mettre en mon cœur
Mais, ma
sœur, croyez-moi, n'en prenez point la peine
En vain vous me
direz que je suis inhumaine,
Que je dois par
pitié soulager ses amours;
Cent fois le
jour j'entends de semblables discours.
Je suis de mille
amants sans cesse importunée,
Et crois
qu'à ce tourment le Ciel m'a destinée.
L'on me vient
rapporter: « Lysis s'en va mourir;
D'un regard pour
le moins venez le secourir.
— EuryLas
s'est plongé dans la mélancolie.
— L'amour
de Licidas s'est tournée en folie.
—
Périandre a dessein de vous faire enlever.
— Une
flotte d'amants vient de vous arriver.
— Si Corylas
n'en meurt, il sera bien malade.
— Un roi
pour vous avoir envoie une ambassade.
— Thirsis
vous idolâtre et vous dresse un autel.
— C'est
pour vous ce matin que s'est fait un duel. »
Aussi de mon pourtrait chacun veut la
copie.
C'est pour moi
qu'est venu le roi d'Éthiopie.
Hier j'en
blessai trois d'un regard innocent.
D'un autre plus
cruel j'en fis mourir un cent.
Je sens, quand
on me parle, une haleine de flamme.
Ceux qui n'osent
parler m'adorent en leur âme.
Mille viennent
par jour se soumettre à ma loi.
Je sens toujours
des cœurs voler autour de moi.
Sans cesse des
soupirs sifflent à mes oreilles.
Mille vœux
élancés m'entourent comme abeilles.
Les pleurs
près de mes pieds courent comme torrents
Toujours je
pense ouïr la plainte des mourants,
Un regret un
sanglot, une voix languissante,
Un cri
désespéré d'une douleur pressante,
Un « je
brûle d'amour », un « hélas je me meurs ».
La nuit je n'en
dors point, je n'entends que clameurs
Qui d'un trait
de pitié s'efforcent de m'atteindre.
Voyez, ma
chère sœur, suis-je pas bien à plaindre?
MÉLISSE
Il faut vous
détromper: il n'en est pas ainsi.
Ce nouvel
amoureux qui me parlait ici
Qui se promet de
rendre une fille opulente...
HESPÉRIE
Quoi!
voulez-vous encor me parler de Phalante?
Que vous
êtes cruelle!
MÉLISSE
Écoutez un moment.
Je veux vous
annoncer que ce nouvel amant...
HESPÉRIE
Ah! bons Dieux,
que d'amants! qu'un peu je me repose.
N'entendrai-je
jamais discourir d’autre chose?
MÉLISSE
Mais laissez-moi
donc dire.
HESPÉRIE
Ah
Dieux ! quelle pitié!
Si vous avez
pour moi tant soit peu d'amitié,
Ne parlons plus
d'amour, souffrez que je respire.
MÉLISSE
Vous ignorez, ma
sœur, ce que je vous veux dire.
HESPÉRIE
Je sais tous les
discours de tous ces amoureux:
Qu'il
brûle, qu'il se meurt, qu'il est tout langoureux,
Que jamais d'un
tel coup âme ne fut atteinte,
Que pour avoir
secours il vous a fait sa plainte,
Que vous me
suppliez d'avoir pitié de lui,
Et qu'au moins
d'un regard j’allège son ennui.
MÉLISSE
Ce n’est
point tout cela
HESPÉRIE
Quelque chose de même.
MÉLISSE
Qu'il ne vous
aime point, mais que c'est moi qu'il aime.
HESPÉRIE
Ah, ma
sœur, quelle ruse afin de m'attraper!
MÉLISSE
Comment par ce
discours pourrais-je vous tromper?
HESPÉRIE
Par cette
habileté vous pensez me séduire,
Et dessous votre
nom me conter son martyre.
SCÈNE III
SESTIANE,
MÉLISSE, HESPÉRIE
SESTIANE
Quels sont vos
différends? Les pourrait-on savoir?
MÉLISSE
Vous savez que
Phalante était venu me voir.
Il m'a
parlé d'amour; et ma sœur trop crédule
Dit que
c'était pour elle, et que je dissimule.
HESPÉRIE
Que vous sert de
parler contre la vérité,
Et de chercher
pour lui cette subtilité?
MÉLISSE
Vous aimez votre
erreur quelque chose qu'on die.
SESTIANE
Vraiment c'est
un sujet pour une comédie,
Et si l'on le
donnait aux esprits d'à présent,
Je pense que
l'intrigue en serait bien plaisant.
Souvent ces
beaux esprits ont faute de matière.
MÉLISSE
Mais pourrait-il
fournir pour une pièce entière?
SESTIANE
Il ne faudrait
qu'y coudre un morceau de roman,
Ou trouver dans
l'histoire un bel événement,
Pour rendre de
tout point cette pièce remplie,
Afin qu'elle
eût l'honneur de paraître accomplie.
MÉLISSE
Qui voudrait
anoblir le théâtre françois
Et former une
pièce avec toutes ses lois,
Divine,
magnifique, il faudrait entreprendre
D'assembler en
un jour tous les faits d'Alexandre.
SESTIANE
Vous verriez
cent combats avec trop peu d'amour.
Je me moque pour
moi de la règle d'un jour[27].
HESPÉRIE
On ferait de ma
vie une pièce admirable
S'il faut
beaucoup d'amour pour la rendre agréable.
Car vous autres
jugez, qui savez les romans
Si la belle
Angélique[28] eut jamais
tant d'amants.
SESTIANE
Voici ce bel
esprit dont la veine est hardie.
Nous pourrons
avec lui parler de comédie.
SCÈNE IV
SESTIANE, AMIDOR,
MÉLISSE, HESPÉRIE
SESTIANE
J'ai ce matin
appris un nouveau compliment;
Laissez-moi
repartir.
AMIDOR
Je
salue humblement
L'honneur des
triples sœurs, les trois belles Charites[29].
SESTIANE
Nous mettons nos
beautés aux pieds de vos mérites.
AMIDOR
De quoi s'entretenait
votre esprit aime-vers?
SESTIANE
Nous discourions
ici sur des sujets divers.
MELISSE
Nous parlions
des exploits du vaillant Alexandre.
AMIDOR
Ce grand roi qui
cent rois enfanta de sa cendre?
Cet enfant
putatif du grand Dieu foudroyant?
Ce torrent de la
guerre, orgueilleux, ondoyant?
Ce Mars plus
redouté que cent mille tempêtes?
Ce bras qui
fracassa cent millions de têtes?
MELISSE
Je vous aime,
Amidor, de le louer ainsi.
HESPÉRIE
Savez-vous un
sujet dont nous parlions aussi?
D'une dont la
beauté peut aisément prétendre
D'avoir plus de
captifs que n'en fit Alexandre.
AMIDOR
Donc je la
nommerais Cyprine[30]
dompte-cœur,
Qui d'un trait
doux-poignant subtilement vainqueur,
Et du poison
sucré d'une friande œillade
Rendrait des
regardants la poitrine malade[31].
HESPÉRIE
Jugez en
vérité, laquelle est-ce de nous?
AMIDOR
Je ne puis, sans
de deux encourir le courroux.
Pour un tel
jugement le beau pasteur de Troie
Aux Argives
flambeaux donna sa ville en proie[32].
Il ne faut point
juger des grandes Déités
(Je puis nommer
ainsi vos célestes beautés).
SESTIANE
O Dieux! qu'il a
d'esprit! Mais il faut que je die
Que nous
parlions aussi touchant la comédie;
Car c'est ma
passion.
AMIDOR
C'est le charme du temps.
Mais le nombre
est petit des auteurs importants
Qui sachent
entonner un carme[33]
magnifique
Pour faire bien
valoir le cothurne tragique.
Pour moi je sens
ma verve aimer les grands sujets.
Je cède
le comique à ces esprits abjects,
Ces Muses sans
vigueur qui s'efforcent de plaire
Au grossier appétit
d'une âme populaire;
Puis je vois
qu'un intrigue embrouille le cerveau.
On trouve
rarement quelque sujet nouveau;
Il faut les
inventer, et c'est là l'impossible
C'est tenter sur
Neptune[34]
un naufrage visible.
Mais un esprit
hardi, savant et vigoureux
D'un tragique
accident est toujours amoureux;
Et sans avoir
recours à l'onde Aganippide[35],
Il puise dans
Sophocle, ou dedans Euripide.
SESTIANE
Toutefois le
comique, étant bien inventé,
Peut être
ravissant quand il est bien traité.
Dites, approuvez-vous
ces règles des critiques,
Dont ils ont
pour garants tous les auteurs antiques,
Cette
unité de jour, de scène, d'action?
AMIDOR
Cette
sévérité n'est qu'une illusion.
Pourquoi
s'assujettir aux crotesques chimères
De ces
emmaillotés dans leurs règles austères
Qui n'osent de
Phébus attendre le retour[36]
Et n'aiment que
des fleurs qui ne durent qu'un jour?
Il faudrait tout
quitter; car en traitant les fables,
Ou certains
accidents[37],
d'histoires véritables
Comment
représenter en observant ces lois
Un sujet en un
jour qui se passe en un mois ?
Comment
fera-t-on voir en une même scène
La ville de
Corinthe avec celle d'Athènes?
Pour la
troisième loi, la belle invention!
Il ne faudrait
qu'un acte avec une action.
SESTIANE
Toutefois ces
esprits critiques et sévères
Ont leurs
raisons à part qui ne sont pas légères:
Qu'il faut poser
le jour, le lieu qu'on veut choisir;
Ce qui vous
interrompt ôte tout le plaisir
Tout changement
détruit cette agréable idée
Et le fil
délicat dont votre âme est guidée.
Si l'on voit
qu'un sujet se passe en plus d'un jour,
«
L'auteur, dit-on alors, m'a fait un mauvais tour,
Il m'a fait sans
dormir passer des nuits entières;
Excusez le
pauvre homme, il a trop de matières,
L'esprit est
séparé, le plaisir dit adieu. »
De même
arrive-t-il si l'on change de lieu.
On se plaint de
l'auteur: « Il m'a fait un outrage,
Je pensais
être à Rome, il m'enlève à Carthage
Vous avez beau
chanter, et tirer le rideau,
Vous ne m'y
trompez pas, je n'ai point passé l'eau.»
Ils
désirent aussi que d'une haleine égale
On traite sans
détour l'action principale:
En mêlant
deux sujets l'un pour l'autre nous fuit,
Comme on voit
s'échapper deux lièvres que l'on suit.
Ce sont
là leurs raisons, si j'ai bonne mémoire.
Je me rapporte
à vous de ce qu'on en doit croire.
AMIDOR
L'esprit avec
ces lois n'embrasse rien de grand.
La
diversité plaît, c'est ce qui nous surprend.
Dans un
même sujet cent beautés amassées
Fournissent un
essaim de diverses pensées:
Par exemple, un
rival sur l'humide élément
Qui ravit une
infante aux yeux de son amant,
Un père
en son palais qui regrette sa perte,
La belle qui
soupire en une île déserte,
L'amant en terre
ferme au plus profond d'un bois,
Qui conte sa
douleur d'une mourante voix,
Puis arme cent
vaisseaux, délivre sa princesse,
Et triomphant
ramène et rival et maîtresse;
Cependant le roi
meurt, on le met au tombeau,
Et ce malheur
s'apprend au sortir du vaisseau;
Le royaume est
vaquant, la province est troublée,
Des plus grands
du pays la troupe est assemblée,
La discorde est
entre eux, tout bruit dans le palais,
La princesse
survient, qui les remet en paix,
Et, ressuyant
ses yeux, comme reine elle ordonne
Que son
fidèle amant obtienne la couronne.
Voyez si cet
amas de grands événements
Capables
d'employer les plus beaux ornements,
Trois voyages
sur mer, les combats d'une guerre,
Un roi mort de
regret que l'on a mis en terre,
Un retour au
pays, I'appareil d'un tombeau,
Les États
assemblés pour faire un roi nouveau,
Et la princesse
en deuil qui les y vient surprendre,
En un jour, en
un lieu, se pourraient bien étendre.
Voudriez-vous
perdre un seul de ces riches objets.
SESTIANE
Vous n'auriez
autrement que fort peu de sujets.
Je veux vous en
dire un que vous pourriez bien faire.
AMIDOR
Dites; je
l'entreprends s'il a l'heur de me plaire.
SESTIANE
On expose un
enfant dans un bois écarté,
Qui par une
tigresse est un temps allaité;
La tigresse
s'éloigne, on la blesse à la chasse,
Elle perd tout
son sang, on la suit à la trace,
On la trouve et
l'enfant que l'on apporte au roi
Beau, d'un fixe
regard, incapable d'effroi
Le roi l'aime,
il l'élève, il en fait ses délices;
On le voit
réussir en tous ses exercices
Voilà le
premier acte. Et dans l'autre suivant
Il
s'échappe, et se met à la merci du vent;
Il aborde en une
île où l'on faisait la guerre;
Au milieu d'un
combat il vient comme un tonnerre,
Prend le foible
parti, relève son espoir;
Un roi lui doit
son sceptre, et désire le voir:
Il veut en sa
faveur partager sa couronne;
Sa fille en le
voyant à l'amour s'abandonne;
Un horrible
géant du contraire parti
Fait semer un
cartel; il en est averti,
Il se
présente au champ, il se bat, il le tue:
Voilà des
ennemis la fortune abattue.
Enfin, dedans
cet acte, il faudrait de beaux vers
Pour dire ses
amours et ses combats divers.
AMIDOR
Ce sujet est
fort beau, grave-doux, magnifique;
Et si je le
comprends il est tragi-comique.
SESTIANE
La princesse, en
l'autre acte, avec son cher amant
Se trouve au
fond d'un bois.
AMIDOR Nommez-le Lisimant
La princesse
Cloris, pour plus d'intelligence.
SESTIANE
Cloris donc en
ce bois cède à sa violence;
Elle en a deux
gémeaux qu'elle élève en secret.
MELISSE
Ma sœur,
voici mon père.
SESTIANE
Ah!
que j'ai de regret!
C'était
là le plus beau.
AMIDOR
Sa rencontre est
moleste[38]
SESTIANE
Quelque jour,
Amidor, je vous dirai le reste.
SCÈNE V
ALCIDON, SESTIANE
ALCIDON
Je vous
cherchais partout, mes filles. Qu'est ceci?
Dieux! quelle
liberté! Retirez-vous d'ici.
Ce n'est pas
votre fait de parler à des hommes.
SESTIANE
Au moins
remarquez bien l'endroit où nous en sommes
ALCIDON
C'est à
moi de les voir, et d'en faire le choix;
Allez, je veux
bientôt vous pourvoir toutes trois.
SCENE VI
AMIDOR, ALCIDON
AMIDOR
Il faut faire
l'amant de l'une de ces belles.
ALCIDON
Est-ce que vous
ayez quelque dessein pour elles?
AMIDOR
Ce mont si
merveilleux en Sicile placé,
Sous qui
gémit le corps d'Encelade oppressé,
Vomissant des
brasiers de sa brûlante gorge,
Ce tombeau
d'Empédocle, où Vulcan fait sa forge
Ou Bronte le
nerveux, cet enfumé démon,
Travaille avec
Stérope et le nu Pyracmon,
Dans son ventre
ensoufré n'eut jamais tant de flamme
Qu'une de ces
beautés en versa dans mon âme[39].
ALCIDON
Que cet homme
est savant dedans l'Antiquité!
Il sait
mêler la Fable avec la vérité,
Il connaît
les secrets de la philosophie,
Et même
est entendu dans la cosmographie.
Vous êtes
amoureux? et qu'est-ce que l'amour?
AMIDOR
C'est ce Dieu
génitif, par qui l'on voit le jour
Qui perça
l'embarras de la masse première,
Débrouilla
le chaos, fit sortir la lumière,
Ordonna le
manoir[40]
à chacun élément,
Aux globes
azurins donna le mouvement,
Remplit les
végétaux de semence féconde,
Et par les
embryons éternisa le monde[41].
ALCIDON
Son esprit me
ravit, son savoir me confond.
Ô Dieux !
qu'il est subtil, et solide, et profond!
Je ne vois rien
si beau qu'un savoir admirable;
C'est un riche
trésor à tous biens préférable,
C'est un
flambeau divin que l'on doit respecter.
Allez, je vous
estime, et vous veux contenter.
Venez ici ce
soir, je vous donne ma fille.
Vous serez quelque
jour l'honneur de ma famille.
AMIDOR
Adieu, grand
producteur de trois rares beautés.
Le ciel donne a
vos jours mille félicités,
Clothon d'or et
de soie en compose la trame,
Et la
fière Atropos[42]
de longtemps ne l'entame.
ACTE
III
SCÈNE
PREMIÈRE
FILIDAN,
ARTABAZE
FILIDAN
Quand te pourrai-je voir, ô beauté que
j'adore;
Helas! que ce désir me pique et me
dévore!
ARTABAZE
Pauvre homme, je
t'entends sans cesse soupirer;
Tu ne fais que te
plaindre et te désespérer.
Je suis l'effroi
de ceux qui semblent redoutables,
Mais sache que je
suis l'espoir des misérables.
Est-ce quelque
tyran qui triomphe de toi
Et qui te fait
servir sous son injuste loi ?
Jupiter dans les
cieux peut garder son tonnerre:
Je dompte ces
marauds et j'en purge la terre.
Est-ce quelque
brigand qui t'emporte ton bien?
Quelque part
qu'il se cache, il ne lui sert de rien.
J'escalade les
monts, je descends aux abîmes
Il n'est point
contre moi d'asile pour les crimes.
FILIDAN
Ce n'est point ma douleur.
ARTABAZE
Quelque accident
fatal
T'a-t-il fait exiler de ton pays natal?
Je veux te redonner la grâce de ton prince,
Ou mon juste courroux détruira sa province.
FILIDAN
Ce n'est point là mon mal, mes ennuis sont plus
grands.
ARTABAZE
Regrettes-tu quelqu’un de tes proches parents?
Si c’est qu’après sa mort il te fâche de vivre,
Je vais jusqu'aux enfers et je te le délivre.
FILIDAN
Ma douleur est bien autre, Ô merveilleux
vainqueur.
ARTABAZE
Est-ce une maladie?
FILIDAN
Oui, qui me tient
au cœur.
ARTABAZE
C'est une maladie? Ah, qu'elle est attrapée!
J'extermine les maux du vent de mon
épée.
Mais il faut en user en diverses façons,
Ou feidre une
estocade, ou des estramaçons
Selon les maux
divers.
FILIDAN
Ce pouvoir est
étrange.
ARTAbase
Quel est donc votre mal?
FILIDAN
Mon mal vient
d'un mélange
D'ébène, d'or, d'argent, d'azur et de
coral.
ARTABAZE
Tout cela pris en poudre a causé votre mal
N'avait-on point mêlé quelque jus de
racine
Pour donner le passage à cette médecine?
FILIDAN
Hélas! roi des vaillants, vous ne m'entendez
pas.
ARTABAZE
Ce titre me plaît fort.
FILIDAN
Je suis près du trépas
Pour un philtre amoureux que j'ai pris par l'oreille.
ARTABAZE
Vraiment vous me contez une étrange merveille;
Un philtre par l'oreille?
FILIDAN
Écoutez-moi, bons Dieux!
J'entends un doux récit du coral de deux yeux
De l'azur d'une bouche.
ARTABAZE
Ah Dieux! il me
fait rire.
C'est de l'azur des yeux que vous me voulez dire,
Du coral
d'une bouche.
FILIDAN
Attendez un
moment.
C’est donques l’un ou l’autre.
ARTABAZE
Ah! vous
êtes amant
De quelques yeux d'azur, de quelque teint d'ivoire?
FILIDAN
L'ivoire n'en est pas, si j'ai bonne mémoire
Mais c'est un tel amas de parfaites beautés
De trésors infinis, de rares qualités
Que je suis, pour les voir, dans un désir
extrême.
ARTABAZE
Sans doute il veut parler de la nymphe qui m'aime.
FILIDAN
Quoi! vous la connaissez ?
ARTABAZE
Ah! si je la connois?
Cette nymphe m'adore, elle vit sous mes lois.
FILIDAN
Quelle vive
douleur a mon âme saisie !
Fallait-il
à mes maux joindre la jalousie?
Ne suffisait-il
pas de languir sans la voir?
ARTABAZE
J'en pourrai bien ranger d'autres sous mon pouvoir.
Je me suis engagé de vous donner remède,
J’ai pitié de vos maux; allez, je vous la
cède.
FILIDAN
O prince généreux, courtois et
libéral,
Donc j'obtiendrai par vous cet azur, ce coral?
De gloire et de bonheur le Ciel vous environne;
Que j'embrasse vos pieds.
ARTABAZE
Allez, je vous la donne.
SCENE
II
ARTABAZE, FILIDAN, AMIDOR
ARTABAZE
Cet homme est furieux, retirons-nous d'ici.
FILIDAN
Pour quelle occasion le craignez-vous ainsi?
ARTABAZE
Quand je l'ai vu tantôt il s'est mis en furie.
FILIDAN
Il n'est rien de plus doux, c'est une rêverie.
ARTABAZE
Toutefois il crachait du creux de ses poumons
L'Épode, I'Antistrophe, et cent autres démons.
FILIDAN
Bannissez cette peur de votre fantaisie;
Cela doit s’appeler fureur de poésie.
ARTABAZE
C'est là mon seul défaut, je crains les
furieux.
FILIDAN
Quoi, craindre? ayant ce bras toujours victorieux?
ARTABAZE
Je m’enfuis
FILIDAN
Demeurez.
ARTABAZE
Voyez comme il
médite.
FILIDAN
Que craignez-vous?
ARTABAZE
Je crains que sa rage s'irrite.
FlLIDAN
Rassurez votre esprit, il médite des vers
Pour semer votre nom par tout cet Univers
Quittez, cher Amidor, vos Muses bien-aimées
Et venez rendre hommage à ce dompteur d'armées.
ARTABAZE
M'assurez-vous de lui?
FILIDAN
C'est le
héros du temps.
AMIDOR
Je vous salue, effroi de tous les combattants,
Qui donnez jalousie à cent têtes royales.
ARTABAZE
Il a, comme je vois, quelques bons intervalles.
Dites, votre fureur vous prend-elle souvent?
Faites-nous quelque signe au moins auparavant.
AMIDOR
Ma phébique fureur sert aux héros
illustres
Pour prolonger leurs jours d'un million de lustres.
Elle donne aux vaillants les plus beaux de ses traits.
Par exemple, alléguez quelques-uns de vos
faits:
Vous verrez ma fureur qui vous les va décrire.
ARTABAZE
Pour mes faits valeureux, je veux bien vous en dire.
Mais trêve de fureur.
FILIDAN
Ah! ne le
craignez pas.
AMIDOR
Jamais cette fureur ne causa de trépas.
ARTABAZE
Sachez que j'ai pour nom l'effroyable Artabaze,
Qui monté quelquefois sur le cheval Pégase,
Vais jusque sur la nue œillader l'univers,
Pour chercher de l'emploi dans les climats divers.
Puis pour me divertir je vole et je revole
En deux heures ou trois de l'un à l'autre pôle.
AMIDOR
Son discours thrasonic me plaît
extrêmement;
Il aime l'hyperbole, et parle gravement.
ARTABAZE
Un jour du haut de l'air j'aperçus deux
armées
D'une chaleur pareille au combat animées
Quand assez à les voir je me fus diverti
Attendant de me joindre au plus foible parti,
Toujours volait entre eux la victoire douteuse;
Enfin de cet ébat ma valeur fut honteuse;
L'impatiente ardeur me fait fondre sur eux,
Comme un aigle vaillant sur des cygnes peureux
Je fends de tous côtés bras, jambes,
cuisses, têtes;
Mes grands coups se font craindre ainsi que des
tempêtes;
J'attire sur moi seul mille traits opposés,
Mais d'un de mes regards j'abats les plus osés.
Enfin je fis alors, ce qu'à peine on peut
croire,
De deux camps ennemis une seule victoire.
AMIDOR
Cet exploit gigantesque est certes merveilleux.
ARTABAZE
Comment décririez-vous ce combat
périlleux?
AMIDOR
Au secours, Polymnie, Érato, Terpsichore.
ARTABAZE
Fuyons; cette fureur le va reprendre encore.
FILIDAN
Demeurez, grand guerrier; ignorez-vous les noms
Des Muses qu'il invoque?
ARTABAZE
Il parle à
ses démons;
Son œil n'e~t plus si doux, il fait mille
grimaces,
Et mâche entre ses dents de certaines menaces;
Voyez comme il nous lance un regard de travers.
FILIDAN
C'est de cette façon que l'on fait de bons
vers.
ARTABAZE
Faut-il être en fureur? Ce métier est
étrange.
J'aime mieux pour ce coup me passer de louange;
Pour voir faire des vers je n'y prends pas plaisir.
AMIDOR
J'en ferai donc pour vous avec plus de loisir.
Je veux vous présenter des enfants de ma Muse.
ARTABAZE
Je vous ferai faveur.
FILIDAN
Mais à quoi je m'amuse?
Cherchons, mes yeux, cherchons ces aimables appas.
ARTABAZE
Où courez-vous, ami? Ne m'abandonnez pas.
FILIDAN
Ne craignez rien de lui, croyez-en ma parole.
ARTABAZE
Adieu donc, pauvre amant, que le ciel vous console.
SCENE
III
AMIDOR,
ARTABAZE
AMIDOR
Guerrier, ne craignez rien parmi les vertueux.
Te vois que vous marchez 'un pas majestueux;
Vous avez le regard d'un grand homme de guerre,
Et tel que Mars l'aurait s'il était sur la
terre;
Vous avez le parler grave, sec, resonnant,
Digne de la grandeur d'un Jupiter Tonnant.
ARTABAZE
Il est vrai.
AMIDOR
J'ai produit une pièce hardie,
Un grand effort d'esprit; c'est une tragédie,
Dont on verra bientôt cent poètes jaloux.
Mais j'aurais grand besoin qu'un homme tel que vous
Pour faire bien valoir cet excellent ouvrage
Voulût représenter le premier personnage.
ARTABAZE
Oui, je l'entreprendrai, s'il est digne de moi
AMIDOR
C'est le grand Alexandre.
ARTABAZE
Oui, puisque ce
grand roi
Par qui se vit l'Asie autrefois
possédée,
Avait de ma valeur quelque légére idée.
AMIDOR
J'ai le rôle en ma poche, il est fort furieux,
Car je lui fais tuer ceux qu'il aime le mieux.
ARTABAZE
C'est donc quelque démon, quelque bête
effroyable;
Ah! ne le tirez point.
AMIDOR
Ce n'est rien de
semblable;
Cela n'est qu'un écrit.
ARTABAZE
Quoi, qui donne
la mort?
Vous êtes donc sorcier?
AMIDOR
Ne craignez point si fort.
ARTABAZE
Ah Dieux! je suis perdu, ma valeur ni mes armes
Ne sont point par malheur à l'épreuve
des charmes.
AMIDOR
Ce ne sont que des vers.
ARTABAZE
C'est ce qui me
fait peur.
AMIDOR
Si vous craignez l'écrit, je les dirai par
cœur.
Voyons si sur-le-champ vous les pourrez apprendre.
ARTABAZE
Je le veux.
AMIDOR
Dites donc:
« Je suis cet Alexandre. »
ARTABAZE
« Je suis cet Alexandre. »
AMIDOR
« Effroi de
l'univers. »
ARTABAZE
Ce titre m’appartient
AMIDOR
Ah Dieux! dites
vos vers.
ARTABAZE
Je ne suis pas si sot qu'en dire davantage,
Je me condamnerais en tenant ce langage.
AMIDOR
Quelle bizarre humeur!
ARTABAZE
Ce trait est
captieux,
Afin que j'abandonne un titre glorieux;
Le donnant, je perdrais le pouvoir d'y prétendre.
Je dirai seulement: « Je suis cet Alexandre. »
Amidor
Et qui dira le reste?
Artabaze
Il faut bien sur ma foi,
Donner le titre à dire à
quelqu’autre qu’à moi;
Puis je pourrai poursuivre.
Amidor
Ô dieux! Quel badinage!
On verrait deux acteurs pour un seul personnage.
Artabaze
Comme vous l’entendrez; je ne puis autrement.
Amidor
Ma foi, vous le direz, j’en ai fait le serment.
Artabaze
Quoi! vous me menacez, frénétique
caboche?
Amidor
Je ferai donc sortir le rôle de ma poche.
artabaze
Ô dieux, à mon secours! Sauvez-moi du
sorcier.
Amidor
Adieu, vaillant courage; adieu franc chevalier.
SCENE
IV
PHALANTE,
AMIDOR
Phalante
De quoi rit amidor
Amidor
C’est de ce capitaine
PHALANTE
Ami, je te cherchais, j'ai besoin de ta veine
Pour vaincre une beauté dont mon cœur est épris
Mais, pour se faire aimer, vivent les bons esprits
Rien ne saurait fléchir une humeur rigoureuse
Comme un vers qui sait peindre une peine amoureuse
AMIDOR
Si c'est une beauté qui chérisse les
vers
J'en ai de composés sur des sujets divers:
J'en ai sur un refus, j'en ai sur une absence
J'en ai sur un courroux, sur des yeux, sur un ris
Un Retour de Silvie, un Adieu pour Cloris,
Un Songe à Bérénice, une Plainte
à Cassandre
Car on choisit le nom tel que l'on le veut prendre
Phalante
Cette plainte à Cassandre est bien ce
qu’il me faut
Amidor
Cette pièce est savante et d’un style
fort haut.
Phalante
C’est comme je la veux.
AMIDOR
Au reste ce sont des stances
Pleines de riches mots, de graves doléances.
Phalante
Si le style en est riche, on me tient riche aussi.
Amidor
Serai-je assez heureux pour les avoir ici?
Phalante
L’est-ce là?
Amidor
Non.
PHALANTE
Quoi donc?
AMIDOR
Une ode
pindarique
PHALANTE
Et cela?
AMIDOR
Ce sont vers qu’on va mettre en musique.
Phalante
Ce l’est peut-être ici?
Amidor
C’est l’Adieu pour Cloris
Phalante
Et Là?
Amidor
Ce sont les Pleurs de la bergère Iris
Phalante
Là?
Amidor
C’est une anagramme en tous les
hémistiches.
Phalante
Et là?
Amidor
C’est un sonnet en lettres acrostiches
Ah! Non ce ne l’est pas, c’est un Voeu
pour Phyllis.
Phalante
Ne l’est-ce point ici?
Amidor
C’est Sur un teint de lis.
Phalante
L’est-ce là?
Amidor
C'est une hymne.
PHALANTE
Et
là?
AMIDOR
C'est une
éclogue.
PHALANTE
Ià ?
Amidor
C’est une épitaphe
Phalante
Et là?
Amidor
C’est un prologue
Phalante
Nous sommes malheureux.
Amidor
Je crois que la voici.
PHALANTE
Que les Dieux soient loués!
AMIDOR
Non, c’est Sur un souci
PHALANTE
Ce l’est donques ici?
AMIDOR
Non, c’est un épigramme
Phalante
Ce sera donc là.
Amidor
C’est une épithalame.
Phalante
Ce sera la dernière.
AMIDOR
A la fin je la vois.
PHALANTE
O dieux!
AMIDOR
Plainte à Cassandre.
phalante
Ami,
donne-la-moi:
J'aime à lire les vers, je suis tout en extase.
AMIDOR
Vous ne les liriez pas avec assez d'emphase.
STANCES[43]
Doncques, rigoureuse Cassandre,
Tes yeux entre-doux et hagards
Par l'optique de leurs regards
Me vont pulvériser en cendre.
Toutefois, parmi ces ardeurs,
Tes hétéroclites froideurs
Causent une antipéristase[44];
Ainsi mourant, ne mourant pas,
Je me sens ravir en extase
Entre la vie et le trépas.
Mon cœur devint pusillanime[45]
Au prime aspect de ta beauté,
Et ta scythique cruauté
Rendit mon esprit cacochyme[46].
Tantôt dans l'Euripe[47]
amoureux
Je me crois le plus malheureux
Des individus sublunaires;
Tantôt je me crois transporté
Aux espaces imaginaires
D'une excentrique volupté.
Aussi ton humeur apocryphe[48]
Fait que l'on te nomme en ce temps
Des hypocondres inconstants
Le véritable hiéroglyphe[49].
Les crotesques illusions
Des fanatiques[50]
visions
Te prennent
pour leur hypohèse[51],
Et dedans mes
calamités
Je n'attends que la syndérèse[52]
De tes froides neutralités
Autrement la métamorphose
De mon bonheur en tant de maux
Fait que l'espoir de mes travaux
N'est plus
qu’en la métempsycose.
La catastrophe
d'un amant
Ne trouve
point le sentiment
Dans ton
âme paralytique.
Faut-il,
lunatique beauté,
Que tu sois le pôle antarctique
De l'amoureuse humanité?
Chante donc la palinodie[53],
Cher paradoxe de mes sens,
Et les symptômes que je sens
Débrouille
l'encyclopédie.
Ainsi les
célesfes brandons[54]
Versent sur
ton chef mille dons
En lignes
perpendiculaires;
Et devant ton
terme fatal,
Cent révolutions solaires
Éclairent sur ton vertical.
PHALANTE
Ah! que je suis ravi! quelle muse admirable!
AMIDOR
Que vous semble du style?
PHALANTE
Il est incomparable.
Mais mon étonnement est sur ces visions
Cette humeur apocryphe, et ces illusions
Dont ces vers sont remplis, qui me font croire encore
Qu'on les a faits exprès pour celle que
j'adore.
AMIDOR
Elle est donc lunatique?
PHALANTE
Elle a l'esprit
gâté
D'une amour d'Alexandre.
AMIDOR
Ah! quelle absurdité!
Quoi ? du grand Alexandre? Elle est donc
chimérique ?
Voilà ce que produit la lecture historique,
Et celle des romans, dans les jeunes esprits,
Qui de fantômes vains sentent leurs cœurs
épris
Alors que fraîchement ils ont lu quelque
histoire.
Cette humeur changera.
PHALANTE
Je le pourrais
bien croire;
Et même ces beaux vers ont des charmes puissants
Pour lui bien reprocher qu'elle a perdu le sens.
AMIDOR
Donc, au lieu de ces mots, rigoureuse Cassandre
Mettez, au premier vers, amante d'Alexandre
Ce trait la piquera.
PHALANTE
L’avis est
excellent.
J'admire cet esprit.
AMIDOR
C’est là notre talent.
PHALANTE
Je la pourrais bien vaincre à force de
largesses,
Si les biens lui plaisaient; j'ai de grandes richesses;
Mais ce charme est plus propre à gagner ses parents.
En voici, ce me semble, un des plus apparents:
Il m'a promis secours; je vois Alcidon même.
AMIDOR
Je m'en vais cependant méditer un poème.
Ces vers valent cent francs, à vingt francs le
couplet.
PHALANTE
Allez, je vous promets un habit tout complet.
SCÈNE
V
LYSANDRE,
ALCIDON, PHALANTE
LYSANDRE
Vénérable Alcidon, je vous offre
Phalante
Pour digne serviteur de ma belle parente,
Mélisse votre fille, ayant un revenu
Qui passe tous nos biens.
ALCIDON
Soyez le bienvenu.
Etes-vous possesseur d'une grande richesse?
PHaLANTE
Grâce aux Dieux j'ai des biens dignes de ma
noblesse.
J'en ai dedans la ville, et j'en ai dans les champs;
Je fais fendre la terre à cent coutres[55]
tranchants,
J'ai des prés, des forêts, des
étangs, des rivières,
Des troupeaux, des haras, des forges, des
minières[56],
Des bourgs et des châteaux, des meubles à
foison;
Les sacs d'or et d'argent roulent par ma maison.
ALCIDON
Quelle richesse au monde à la vôtre est
égale?
De toutes vos maisons quelle est la principale?
PHALANTE
C'est un lieu de plaisir, séjour de mes
aïeux,
A mon gré le plus beau qui soit dessous les
cieux
Si vous le
désirez, je vous le vais décrire[57].
ALCIDON
Vous me ferez plaisir; c'est ce que je désire.
PHALANTE
Ce lieu se peut nommer séjour des voluptés,
Où l'art et la nature étalent leurs beautés;
On rencontre à l'abord une longue avenue
D'arbres à
quatre rangs qui voisinent la nue
Deux prés
des deux côtés font voir cent mille fleurs
Qui parent leurs
tapis de cent vives couleurs;
Et cent petits
ruisseaux coulent d'un doux murmure,
Qui d'un œil
plus riant font briller la verdure.
ALCIDON
L'abord est agréable.
LYSANDRE
On peut avec
raison
Se promettre de là quelque belle maison.
PHALANTE
De loin l'on aperçoit un portail magnifique;
De près l'ordre est toscan, et l'ouvrage
rustique;
Ce portail donne entrée en une grande cour,
Ceinte de grands
ormeaux, et d'un ruisseau qui court;
Là, mille
beaux pigeons et mille paons superbes
Marchent d'un
grave pas sur la pointe des herbes.
Une fontaine au
centre a son jet élancé
Par le cornet
retors d'un triton renversé;
Cette eau frappe
le ciel, puis retombe et se joue
Sur le nez du
triton, et lui lave la joue.
La cour des deux
côtés tient à deux basses-cours,
De qui le grand
château tire tout son secours[58]:
En l'une est le
manège, offices, écuries
L'autre est pour
le labour et pour les bergeries.
Au fond de cette
cour paraît cette maison
Qu'Armide eût pu choisir pour l'heureuse prison
Où furent en repos son Renaud et ses armes,
Sans qu'elle eût eu besoin du pouvoir de ses
charmes.[59]
Au bord d'une terrasse un grand fossé plein
d'eau,
Net, profond, poissonneux, entoure le château,
Pour rendre ce lieu sûr contre les escalades;
Et l'appui d'alentour, ce sont des balustrades.
ALCIDON
Cette entrée est fort belle.
PHALANTE
Au bout du
pont-levis
Se présente un objet[60]
dont les yeux sont ravis,
Trois portes de porphyre et de jaspe étoffées,
Comme un arc de triomphe enrichi de trophées.
On entre en une cour large de deux cents pas,
Où cet art qu'ont produit la règle et le compas
( J'entends cette mignarde[61]
et noble architecture)
Semble de tous côtés surmonter la nature.
Le logis élevé, les ailes un peu moins,
De quatre pavillons flanquent leurs quatre coins;
Et par l'étage bas cent colonnes doriques
Séparent d'ordre égal cent figures antiques.
ALCIDON
Ô Dieux!
PHALANTE
Une fontaine au milieu de la cour
Représente Aréthuse[62];
il semble qu'elle court,
Qu'elle emporte d'un dieu le cœur et la
franchise;
L'amant la suit de près, elle pense être
prise;
Elle invoque Diane, et dans ce temps fatal
Jaillit dessous ses pieds un long trait de cristal;
Cette eau, qui va noyer sa mortelle dépouille,
En même temps l'étonne, et
l'arrête, et le mouille.
En chaque
pavillon sont des appartements
Qui selon les
saisons servent de logements
Pour
l'été, pour l'hiver, le printemps ou l'automne,
Ainsi que vient
le chaud, ou qu'il nous abandonne.
L'ornement des
planchers et celui des lambris
Brillent de tous
côtés de dorures sans prix;
Où le peintre épuisa ses doctes
rêveries.
Les meubles somptueux, éclatants et divers,
Feraient croire à nos yeux que de tout l'univers
On a fait apporter les plus riches ouvrages
Pour rendre à ce beau lieu de signalés
hommages.
ALCIDON
Vous nous contez sans doute un palais enchanté.
LYSANDRE
Écoutons.
PHALANTE
Les jardins n'ont pas moins de beauté.
D'abord on aperçoit un parterre
s'étendre
Où de ravissement l'œil se laisse
surprendre.
Ses grands compartiments forment mille fleurons,
Et cent diverses fleurs naissent aux environs
Au milieu du parterre une grande fontaine
Jette en l'air un torrent de sa féconde veine.
La figure est antique; un Neptune d'airain
Armé de son trident dompte un cheval marin;
Le monstre, des naseaux, lance l'eau jusqu'aux nues
Qui retombe avec bruit en parcelles menues
Le Dieu voit de sa barbe et de son grand trident
Dégoutter mille flots, et n'est pas moins ardent.
ALCIDON
J'aime toutes ces eaux.
PHALANTE
Quatre belles
sirènes
Dans les coins du jardin forment quatre fontaines
Dont les bassins pareils ont les bouillons égaux:
Le parterre est enceint de trois larges canaux.
Ce lieu semble coupé du dos d'une montagne,
Et découvre à main
droite une riche campagne,
Un bois, une rivière, et toutes ces beautés
Dont les yeux innocents font leurs félicités.
Le grand parc se sépare en superbes allées
Par mes riches aïeux en tous sens égalées.
Les arbres en sont beaux et droits et chevelus
Et, se joignant en haut de leurs rameaux feuillus,
Parlent en murmurant, s'embrassent comme
frères,
Et contre les chaleurs sont des Dieux tutélaires.
Un vert et long tapis par le milieu s'étend,
Qu'entrevoit le soleil d'un rayon tremblotant;
Deux ruisseaux aux côtés mouillent les palissades,
Interrompant leurs cours par cent mille cascades.
Au bout des promenoirs en un lieu reculé
Se découvre un rond d'eau d'espace signalé;
Diane est au milieu, de colère animée,
Et Niobe[63] en rocher
à demi transformée;
La reine au lieu de pleurs verse de gros torrents,
Sa jeune fille encor l'étreint de bras mourants,
Et ses autres enfants comme figures vraies
Font sortir pour du sang un jet d'eau de leurs plaies;
L'étang, dont le sein vaste engouffre ces
canaux,
D'un bruit continuel semble plaindre leurs maux.
ALCIDON
Ce rond d'eau me plaît fort.
PHALANTE
Autour des palissades
Cent niches en leurs creux ont autant de naïades,
Qui d'un vase de marbre élancent un trait
d'eau,
Qui se rend comme un arc dans le large vaisseau;
Et les admirateurs de ces beaux lieux humides
Se promènent autour sous des voûtes
liquides.
ALCIDON
Quel plaisir, 0 bons Dieux!
PHALANTE
Loin de là
s'aperçoit
Un jardin que l'on sent plus tôt qu'on ne le voit:
Mille grands orangers en égale distance
De fruits mêlés de fleurs jettent une
abondance;
Ils semblent orgueilleux de voir leur beau
trésor,
Que leurs fleurs sont d'argent, et que leur fruit est
d'or.
Et pour se distinguer chacun d'eux s'accompagne
Ou d'un myrte amoureux, ou d'un jasmin d'Espagne.
ALCIDON
Que tous ces beaux jardins ont de charmants appas!
PHALANTE
Ensuite est un grand lieu large de mille pas;
Dans les quatre côtés sont vingt grottes humides
Et l'on voit au
milieu le lac des Danaïdes[64].
Ses bords sont
balustrés, et cent légers bateaux
Peints de blanc
et d'azur, voltigent sur les eaux
Où, sans
craindre le sort qui mène aux funérailles
Se donnent
quelquefois d'innocentes batailles.
Un grand rocher s'élève au milieu de
l'étang
Où Les cinquante Sœurs faites de marbre blanc
Portent incessamment les peines méritées
D'avoir en leurs maris leurs mains ensanglantées,
Et, souffrant un travail qui ne saurait finir,
Semblent
incessamment aller et revenir.
Au haut, trois de
ces Sœurs, à cruche renversée
Font choir trois
gros torrents dans la tonne percée;
La tonne
répand l'eau par mille trous divers
Le roc qui la
reçoit en a les flancs couverts.
Au bas l'une des Sœurs puise à tête
courbée,
L'autre montre et se plaint que sa cruche est tombée,
L'une monte chargée, et l'autre qui descend
Semble aider à sa sœur sur le degré glissant;
L'une est prête à verser, I'autre reprend haleine
L'œil même qui les voit prend sa part de leur peine
L'eau que ce vain travail tourmente tant de fois
Semble accuser des Dieux les inégales lois
Et redire en tombant d'une voix gémissante:
« Pourquoi souffré-je tant, moi qui suis
innocente? »
Ce bruit et ce
travail charment tant les esprits
Qu'on perd tout
souvenir, tant l'on en est épris.
ALcIDON
Ô Dieux! n'en dites plus, je suis plein de
merveilles;
Vous m'avez en ce lieu charmé par les oreilles.
LYSANDRE
J'entendrais ce récit volontiers tout un jour.
ALCIDON
Je me
promène encor dedans ce beau séjour.
Il est vrai, la
richesse est une belle chose:
Toute félicité dedans elle est enclose.
Un pauvre n'est qu'un sot. Allez, je vous reçois;
Venez devers le soir vous présenter à
moi;
Je vous donne ma fille, et veux qu'elle vous aime.
Cette offre de vos vœux m'est une gloire
extrême.
PHALANTE
Effacez de son cœur quelques impressions
Qui pourraient faire tort à mes affections.
ALCIDON
Mélisse ferait-elle une faute si grande?
Phalante, il vous suffit, j'en reçois la
demande.
LYSANDRE
Au moins dans ce beau lieu, quand je vous irai voir,
J'aurai mon logement?
PHALANTE
Vous aurez tout
pouvoir.
ACTE
IV
SCENE
PREMIERE
MÉLISSE
Vainqueur de l'Orient, guerrier infatigable,
À qui des conquérants nul ne fut
comparable,
Foudre qui si soudain ravagea l'Univers,
Héros qui mérita cent éloges divers,
Et dont mille combats établirent l'empire,
C'est toi seul que j'adore, et pour qui je soupire.
Soit que je te contemple en la fleur de tes ans,
Quand aux yeux étonnés de mille courtisans,
Par une adresse vive, et qui n'eut point d'égale,
Tu domptas la fureur du fougueux Bucéphale,
Ou quand tu fis l'essai de tes guerrières mains
Sur les forces d'Athène et l'orgueil des Thébains,
Ou quand tu fis trembler, à voir ta jeune audace,
Le Danube glacé, I'Illyrie et la Thrace,
Je dis, voyant l'effort de tes premiers exploits
Qui jusques aux Germains firent craindre tes lois:
« Que fera ce grand fleuve au milieu de sa course,
S'il ravage ses bords au sortir de sa source? »
Puis quand ayant passé les flots de l'Hellespont
Je vois dans peu de temps sur ton auguste front
Flotter superbement les palmes immortelles
Des combats du Granique, et d'Issus, et d'Arbelles
Ou quand je vois ton char suivi de tous côtés
De satrapes
captifs, et d'illustres beautés
De chameaux
chargés d'or, de meubles magnifiques,
Les
trésors amassés par tant de rois persiques,
Ou quand je
t'aperçois sur ce trône éclatant
Dont l'œil
de tous les Grecs se trouva si content,
Goûter avec
plaisir les fruits de ta victoire,
« Quel
vainqueur, dis-je alors, eut jamais tant de gloire ? »
Mais quand par
trop de cœur je te vois engager
Au bourg des
Malliens en un si grand danger
En ce lieu
malheureux qui crut porter la marque
De l'indigne
tombeau d'un si digne monarque,
Je tremble en te
voyant le premier à l'assaut,
Les
échelles se rompre, et toi seul sur le haut
Qui frappes de
l'épée, et du bouclier[65]
te pares
Du choc
impétueux de mille traits barbares
Mais l'effroi me
saisit, et d'horreur je frémis
Quand tu te
lances seul dans l'enclos ennemi
Et que seul tu
soutiens les puissantes attaques
Des plus
désespérés d'entre les Oxydraques:
C'est là,
puisque si tard on te vint secourir,
Si ton corps
fût mortel, que tu devais mourir.
Aussi
n'étais-tu pas d'une mortelle essence
Le plus puissant
des Dieux te donna la naissance;
Jamais mortel ne
fit tant d'exploits glorieux
Et ne porta si
loin son bras victorieux.
Plus digne fils
des Dieux qu'un Bacchus, qu'un Hercule
Croire que tu
sois mort, c'est chose ridicule.
De tes membres
divins la précieuse odeur
Marquait
évidemment ta céleste grandeur.
Non, tu vis dans
les Cieux (car par quelque aventure
Quelque corps
pour le tien fut mis en sépulture);
Mais je croirais
plutôt que tu fus transporté
Dans le charmant
séjour d'un palais enchanté
Où ta
jeune vigueur, ta beauté, ton courage
Du temps ni de la mort ne craignent point l'outrage,
Et si tu veux savoir l'espoir de mon amour,
C'est que d'un si beau lieu tu sortiras un jour;
Tu sèmeras l'effroi sur la terre et sur l'onde,
Poursuivant ton dessein des conquêtes du monde.
Ô le charmant plaisir que je dois recevoir,
Si j'ai durant mes jours le bonheur de te voir.
Il me semble déjà que mon amour m'ordonne
Que je t'aille trouver en habit d'Amazone.
Ô mon cher Alexandre, espoir de mes amours,
Voudrais-tu bien
pour moi t’arrêter quelques iours,
Pour produire un
enfant de race valeureuse?
Car je sens en
t'aimant que je suis généreuse[66].
SCÈNE
II
MÉLISSE,
ARTABAZE
MELISSE
Quand pourrai-je goûter tant de
félicité,
Alexandre mon cœur?
ARTABAZE
Quelle est cette
beauté
Qui parle
d'Alexandre? Elle paraît hardie.
Ma foi vous le
verrez, c'est cette tragédie
Dont parlait ce
fantasque; elle en dit quelques vers.
MELISSE
Oui, je le veux chercher par tout cet univers.
Mais quel brave guerrier me vient ici surprendre?
ARTABAZE
Il faut lui repartir. « Je suis cet Alexandre.
»
MÉLISSE
Vous êtes Alexandre? Ô mes yeux bienheureux,
Vous voyez donc l'objet de mes vœux amoureux!
Que j'embrasse vos pieds, grand prince que j'adore.
Quitte, quitte, mon cœur, I'ennui qui te devore:
Je le vois ce grand roi, ce héros nonpareil,
Le plus grand que jamais éclaira le soleil,
Ce fils de Jupiter, ce prodige en courage.
ARTABAZE
Cette fille à mon gré fait bien son
personnage.
MÉLISSE
Vous êtes Alexandre? Au moins encore un mot;
Poursuivez de parler.
ARTABAZE
Je ne suis pas si
sot.
MÉLISSE
Parlez donc, cher objet dont mon âme est éprise.
ARTABAZE
« Je suis cet Alexandre », et cela vous
suffise.
MÉLISSE
Il me suffit, de vrai, d'avoir l'heur de vous voir.
Vous forcer de parler, c'est passer mon devoir;
Effroi de l'Univers, c'est par trop entreprendre.
ARTABAZE
Est-ce pour moi ce titre, ou bien pour Alexandre?
MÉLISSE
Comment l'entendez-vous?
ARTABAZE
Si ce titre est
pour moi
Comme m'appartenant aussi je le reçois;
Mais je le maintiens faux, si c'est pour Alexandre.
MÉLISSE
Vous tenez un discours que je ne puis comprendre.
Vous êtes Alexandre, et vous ne l'êtes
pas?
ARTABAZE
C'est par moi qu'Alexandre a souffert le trépas.
MÉLISSE
Vous l'êtes donc sans l'être? À présent Alexandre
Est comme le phénix qui renaît de sa cendre?
Car c'est lui qui revit, et si ce ne l'est plus?
A peine j'entendais ces propos ambigus.
Mais, ô cher Alexandre, ô prince qui m'embrase...
ARTABAZE
Laissons la tragédie; on m'appelle Artabaze,
Plus craint que le tonnerre, et l'orage, et les vents.
MÉLISSE
Artabaze est le
nom de l'un de vos suivants,
Qui le fut de
Darie[67];
ah! le voudriez-vous prendre?
Dieux! ne quittez
point ce beau nom d'Alexandre.
ARTABAZE
Artabaze es~ le nom du plus grand des guerriers,
Dont le front est chargé de cent mille lauriers.
MÉLISSE
Faites-moi donc
entendre; est-ce métamorphose
Qui vous fait
Artabaze, ou bien métempsycose?
ARTABAZE
Quoi! vous dites aussi des mots de ce sorcier
Qui fit la tragédie?
MÉLISSE
Invincible guerrier,
Alors qu'on vous crut mort par charme ou maladie,
Ce fut donc un sorcier qui fit la tragédie?
ARTABAZE
Il est vrai que de peur j'en ai pensé mourir.
Vous a-t-on dit l'effroi qui m'a tant fait courir?
MÉLISSE
Quoi donc! il vous fit peur, ô valeur sans seconde?
ARTABAZE
Il m'a fait disparaitre aux yeux de tout le monde.
MÉLISSE
Vous disparûtes donc par un
charme puissant?
ARTABAZE
Par des mots qui pouvaient en effrayer un cent
Par un certain démon qu'il portait dans sa poche.
MÉLISSE
Ô Dieux!
ARTABAZE
Nul de sa mort ne fut jamais si proche.
MÉLISSE
Depuis cet accident qu'il s'est fait de combats!
ARTABAZE
Quels combats se sont faits?
MÉLISSE
Ne les savez-vous pas?
ARTABAZE
On s'est battu sans moi?Je déteste[68],
j'enrage.
MÉLISSE
Ce fut lorsque vos chefs eurent fait le partage
De tous ces grands pays conquis par vos travaux.
ARTABAZE
Je les ferai tous pendre; où sont-ils ces
marauds?
Ils partagent mon bien ?
MELISSE
Depuis leurs
destinées
On pourrait bien compter près de deux mille
années.
ARTABAZE
Les Dieux pour les sauver de mon juste courroux
Ont mis assurément cet espace entre nous.
MELISSE
Hélas! où courez-vous?
ARTABAZE
Ce sorcier me veut prendre.
MELISSE
Je vous suivrai partout, ô mon cher Alexandre.
SCÈNE
III
FILIDAN,
AMIDOR
FILIDAN
Je la vois cette belle, à ce coup je la vois.
Cruelle, impitoyable, où fuyez-vous de moi?
La mauvaise qu'elle est, je l'avais aperçue.
Mais l'ingrate aussitôt s'est soustraite
à ma vue;
Elle a privé mes yeux d'un si divin plaisir
Pour augmenter en moi la fureur du desir.
Amidor, je l'ai vue.
AMIDOR
As-tu vu cette belle ?
FILIDAN
J'ai vu comme un éclair cette beauté
cruelle.
Mais ne l'as-tu point vue? A quoi donc
rêvais-tu?
AMIDOR
Je rêvais
au malheur des hommes de vertu,
Qu'en ce
siècle ignorant les auteurs d'importance
Languissent sans
estime et sans reconnaissance.
FILIDAN
C'est ainsi que parfois en des lieux
écartés
S'offrent aux yeux humains les célestes beautés:
On les voit sans les voir; ces belles immortelles
Sont en même moment et douces et cruelles.
AMIDOR
Siècle ingrat! Autrefois Sophocle eut cet
honneur
Qu'en l'île de Samos on le mit gouverneur
Pour une tragédie, ainsi qu'on le raconte:
Je devrais être un roi pour le moins à ce compte.
FILIDAN
Dieux! qu'elle m'a laissé dans un ardent
désir
De voir son beau visage avec plus de loisir!
AMIDOR
Quel homme enfla jamais comme moi sa parole?
Et qui jamais plus haut a porté l'hyperbole?
SCÈNE
IV
FILIDAN,
HESPÉRIE, AMIDOR, SESTIANE
FILIDAN
Comme de sa
beauté tu connais la grandeur,
Crois-tu, cher
confident de ma nouvelle ardeur,
Oue ma
fidélité puisse étre assez heureuse
Pour
fléchir quelque jour cette humeur rigoureuse?
HESPÉRIE
Ecoute, chère sœur, ce misérable
amant
Qui feint ne me point voir pour dire son tourment.
AMIDOR
Les grands peuvent donner les soutiens d'une vie
Qui par mille accidents nous peut être ravie;
Mais par un vers puissant comme la
Déité,
Je puis leur faire don de
l'immortalité.
FILIDAN
Ah! qu'elle est rigoureuse à son amant
fidèle!
AMIDOR
Ah! que pour les savants la saison est cruelle!
FILIDAN
Beauté, si tu pouvais savoir tous mes travaux!
AMIDOR
Siècle, si tu pouvais savoir ce que je vaux!
FILIDAN
J'aurais en ton amour une place authentique.
AMIDOR
J'aurais une statue en la place publique.
HESPÉRIE
J'ai pitié de les voir en cette
égalité
L'un se plaindre du temps, I'autre de ma
beauté.
SESTIANE
Non, c'est un dialogue: Amidor l'étudie
Pour en faire une scène en quelque
comédie.
HESPÉRIE
Ah, ne le croyez
pas! L'un et l'autre en effet
Ont du temps et de moi l'esprit mal satisfait.
Voyez qu'ils sont rêveurs; sachons-le avec
adresse.
Doncques vous vous plaignez d'une ingrate maitresse?
FILIDAN
Si c'est quelque pitié naissante en votre
cœur
Qui vous fasse enquérir quel trait fut mon vainqueur,
Sachez qu'il vint d'un œil que j'adore en mon
ame.
HESPÉRIE
Voyez qu'il est adroit à me conter sa flamme.
Quelle est donc la beauté d'où vient
votre tourment?
FILIDAN
C’est celle que j'ai vue en ce même
moment.
HESPÉRIE
C'est doncques pour ma Sœur que votre cœur soupire?
FILIDAN
Non.
HESPÉRIE
Ma soeur, pouvait-il plus adroitement dire
Que c'est moi qu'il chérit, car c'est l'une des deux.
Respectueux amant, on accepte vos veux:
Celle que vous aimez de ma part vous assure
Qu'elle a
pitié des maux que votre cœur endure
Mais sans rien
désirer adorez sa vertu.
FILIDAN
Ô doux soulagement d'un esprit abattu!
Que je baise vos mains pour l'heureuse nouvelle
Que ma Déesse envoie à son amant
fidèle.
HESPÉRIE
Mais vous de qui
l'esprit par tant de nobles vers
Du bruit de cette
nymphe a rempli l'Univers
Quittez vos
déplaisirs, car pour reconnaissance
Sachez qu'elle
vous donne une ample récompense.
FILIDAN
Il est vrai que c'est lui qui causa mon ardeur.
AMIDOR
Quel don puis-je espérer digne de sa grandeur?
HESPÉRIE
Vous allez devenir le plus riche du monde.
AMIDOR
Hélas! sur quoi veut-on que cet espoir se
fonde?
HESPÉRIE
Elle peut pour le moins compter cent mille amants
Qui vivant sous ses lois souffrent mille tourments.
Elle va publier, pour soulager leur peine,
Qu'ils n'ont qu'à lui donner des vers de votre veine
Vous verrez arriver de cent climats divers
Ces pauvres languissants pour avoir de vos vers
Vous offrir des présents, des innombrables
sommes:
Vous voilà dans un mois le plus riche des
hommes.
AMIDOR
O Dieux! les voyageurs sur les indiques bords[69]
N'amassèrent jamais de si riches
trésors.
Quels beaux chants triomphaux, et quels
panégyriques
Mériteront de moi ses bontés
héroïques!
FLLIDAN
Dieux! qu'elle
est magnifique[70] ! et que
cette beauté
Exerce
heureusement la libéralité!
SESTIANE
J'aime bien Amidor, mais il faut que je die
Que s'il devient si riche, adieu la comédie.
Car il ne voudra plus s'embrouiller le cerveau
Que pour une épigramme[71],
ou pour un air nouveau.
AMIDOR
J'aurai plus de loisir, Sestiane, au contraire;
J'en ferai pour ma gloire et pour me satisfaire.
Mais s'il faut que les biens m'arrivent à
foison,
Il faut donc que je loue une grande maison;
Car ma chambre est petite: a peine suffit-elle
Pour un lit, une table, avec une escabelle.
SESTIANE
Avant que voir chez vous la richesse venir,
Je veux de votre Muse une grâce obtenir.
AMIDOR
Commandez seulement.
SESTIANE
Qu'elle veuille décrire
Ce sujet que tantôt je commençais
à dire.
AMIDOR
Oui, je vous le promets; ce sujet me plaît fort,
Et mérite un esprit qui puisse faire effort.
L'invention m'en charme, et sa belle conduite.
Je me meurs du désir d'en apprendre la suite.
Nous étions demeurés sur ces petits gémeaux
Que Cloris élevait.
SESTIANE
Tous deux étaient fort beaux.
L'on admirait en eux surtout la ressemblance.
Le père de Cloris n'en eut point connaissance:
On les faisait nourrir en des lieux
écartés;
Enfin les
voilà grands, aimés de cent beautés.
Le visage de l'un
tout à l'autre semblable
Fait naître
tous les jours quelque intrigue agréable.
Cet acte serait
plein de plaisantes erreurs.
Même on y peut mêler
quelques douces fureurs.
AMIDOR
Vraiment vous l'entendez[72].
SESTIANE
J'entends un peu
ces choses.
Car j'ai lu les romans et les métamorphoses.
Dedans l’acte quatrième[73]...
O Dieux! cher Amidor,
J'entends quelqu'un venir pour nous troubler encor;
Tirons-nous à l’écart. Cependant, Hespérie,
Si quelqu'un
survenait, parlez-lui, je vous prie.
Je lui dirai le
reste ici dans quelque lieu.
AMIDOR
Allons, ma Melpomène[74];
et vous, ma nymphe, adieu.
SESTIANE
Vous verrez si la fin eut jamais son égale.
HESPÉRIE
Quoi? seule avecque lui?
SESTIANE
Ce sera sans scandale.
Nous ne sommes qu'esprit, et pour
être[75] à
l'écart
Le corps en nos amours ne prend aucune part.
SCÈNE
V
ARTABAZE,
MÉIISSE, FILIDAN, HESPÉRIE
ARTABAZE
Ô Dieux! quelle pitié! je suis couru des
dames,
Mais je ne puis tout seul soulager tant de flammes.
MELISSE
O mon cher Alexandre, hélas! me fuyez-vous?
Alexandre, Artabaze, apaisez ce courroux.
ARTABAZE
J'ai trop d'amour ailleurs, je ne puis vous entendre.
MÉLISSE
Je vous suivrai partout, Ô mon cher Alexandre.
FILIDAN
Cet éclair de beauté vient de
paraître ici.
Arréte, ma cruelle; arrête, mon souci.
SCENE
VI
ALCIDON,
HESPÉRIE
ALCIDON
Quel bruit ai-je entendu?
HESPÉRIE
Que je
Suis misérable!
ALCIDON
Qu'avez-vous à pleurer?
HESPÉRIE
Ah! que je suis
coupable!
ALCIDON
Quoi donc, elle s'accuse? Hélas! je suis perdu.
J'ai pour la marier un peu trop attendu ;
Je savais que la garde en était dangereuse.
Quel mal avez-vous fait?
HESPÉRIE
O beauté
malheureuse!
ALCIDON
La méchante a forfait sans doute à son
honneur.
Mais je veux étrangler le traître
suborneur.
Quel mal as-tu donc fait?
HESPÉRIE
Ah! le pourrez-vous croire ?
Je pensais de vos jours être l'heur et la gloire
Mais ie suis votre honte, et le fatal tison
Qui remplira de feu toute votre maison.
ALCIDON
Et de crainte et d'horreur tout le corps me chancelle.
HESPÉRIE
Ah! qu'à votre malheur vous me fîtes si
belle!
ALCIDON
Rends donc de mon malheur mon esprit éclairci.
HESPÉRIE
guel spec'tacle,
bons Dieux, je viens de voir ici!
Ô mes yeux
criminels, versez, versez des larmes
Sur ce cruel amas
de beautés et de charmes.
C'est vous, mes
chers trésors, qui causez ces malheurs.
ALCIDON
Au moins, pour me parler, apaise tes douleurs.
HESPÉRIE
Puisque vous le voulez....J'ai honte, je l'avoue
Mais pour dire nos maux il faut que je me loue.
Dès que j'ouvris les yeux pour regarder le
jour;
Je les ouvris aussi pour donner de l'amour.
Ceux qui me pouvaient voir m'aimaient dès mon enfance,
Au moins de mes
beautés adoraient l'espérance.
Chacun
contribuait à mes jeunes plaisirs,
Et ma
beauté croissant, croissaient tous les désirs.
Enfin je deviens
grande, et quelque part que j'aille
Mes yeux à
tous les cœurs livrent une bataille.
L'un dit: «
Je suis blessé », I'autre dit: « Je suis mort »;
L'un pense
résifter à mon premier effort,
Sur ce simple
regard d'un plus vif je redouble,
Soudain le teint
blêmit, voilà l'œil qui se trouble;
Le bruit de ma
beauté se répand en tous lieux,
Et l'on ne parle
plus que des coups de mes yeux.
Mille amants sur
ce bruit à des flammes si belles
Ainsi que
papillons viennent brûler leurs ailes.
Je rencontre
partout des visages blêmis,
Des yeux qui font
des veux a leurs doux ennemis;
Je suis comme un
miracle en tous endroits suivie,
Et même en
ma faveur je fais parler l'envie.
Enfin tous les
amants qui vivent sous les cieux
Se trouvent
asservis au pouvoir de mes yeux.
Voilà donc
notre gloire, ah! disons notre honte.
Tandis, d'autres
beautés on ne fait plus de compte,
On s'adresse
à moi seule, et pas un seul mortel
Pour offrir son
encens ne cherche un autre autel.
Ainsi mes pauvres
sœurs... Ah! de douleur je crève;
La parole me
manque.
ALCIDON
Hélas! ma fille, achève.
HESPÉRIE
Doncques mes pauvres sœurs se voyant sans amant,
Qu'elles jettent[76] sur tous
leurs regards vainement,
Sont réduites enfin à ces malheurs extrêmes
Qu'elles vont rechercher les hommes elles-mêmes.
L'une faisant semblant de conférer de vers
Court après un poète, et dans des lieux couverts,
Éloignés de mes yeux, tâche à gagner son âme.
L'autre se voit réduite à cette honte infâme
De suivre un capitaine, à tout heure, en tous lieux,
Au vu de tout le monde.
ALCIDON
Est-il possible ?
ô Dieux!
HESPÉRIE
En le nommant son cœur, et son cher Alexandre.
Mais iugez quel secours elles peuvent attendre.
C'est pour moi seulement que l'un fait tant de vers
Et l'autre pour moi seule a couru l'Univers,
A vaincu cent guerriers sur la terre et sur l'onde
Pour me faire avouer la plus belle du monde.
Voyez si j'ai sujet de répandre des pleurs
D'accuser ma beauté, source de nos malheurs
Qui cause en lieu de gloire une honte
éternelle.
Ah! mon père, pourquoi me fîtes-vous si
belle?
ALCIDON
Osent-elles, bons
Dieux, témoigner leur ardeur?
À ce
compte vos soeurs ont perdu la pudeur?
Mais n'est-ce
point aussi trop d'amour de vous-même
Qui vous fait
quelquefois rêver que l'on vous aime?
Je n'entends
point parler de tous ces amoureux.
HESPERIE
Si j'avais moins d'amants nous serions plus heureux.
ALCIDON
Mais l'amour de vos soeurs est-ce chose certaine?
HESPÉRIE
Vous le pourrez savoir; voilà le capitaine.
ALCIDON
Je veux l'entretenir; retirez-vous d'ici.
J'aurai sur ce sujet mon esprit éclairci.
SCÈNE VII
ARTABAZE, ALCIDON
ARTABAZE
Bonhomme, approchez-vous; venez me rendre hommage.
ALCIDON
Valeureux fils de Mars, et sa vivante image,
J'adore avec respect votre illustre grandeur,
Et de vos faits guerriers j'admire la splendeur.
ARTABAZE
Il me gagne le cœur, I'humilité me charme,
C'est ce qui
m'adoucit, c'est ce qui me désarme.
Vous avez une
fille?
ALCIDON
Oui, guerrier, j'en ai trois.
ARTABAZE
J'eusse été, s'il m'eût plu, le
gendre de cent rois.
Je veux vous combler d'heur, il m'en prend fantaisie,
En dussent tous ces rois crever de jalousie.
ALCIDON
De deux flles que j'ai, si l'on m'a bien instruit,
Vous en
poursuivez l'une, et l'autre vous poursuit.
ARTABAZE
Quoi! j'en poursuis quelqu'une? Ah! quelle
rêverie!
ALCIDON
N'êtes-vous pas amant de ma fille
Hespérie?
ARTABAZE
Quelle est cette Hespérie? Ô Dieux! cette
beauté
Se mêle d'attenter à cette vanité!
Vanité téméraire et digne de supplice,
Qu'à peine souffrirais-je en une impératrice,
Moi que mille beautés pourchassent à l'envi,
Qui suis d'elles partout à toute heure suivi,
Qui n'ai qu'à regarder celle qui me peut plaire
Pour dire: « Allez, c'est vous que je veux satisfaire. »
Entre autres la constance et l'ardente amitié
D'une qui me poursuit vous ferait bien pitié,
Qui me nomme son tout, et son cher Alexandre.
ALCIDON
C'est ma fille.
ARTABAZE
Il est vrai, I'on vient de me l'apprendre.
Certes elle ne cède à nulle de ces lieux
Et peut bien mériter un regard de mes yeux;
Mais jugez de combien elle s'était trompée:
Ayant su les pays conquis par mon épée
Ayant ouï parler de mes faits glorieux
Qui m'ont de l'Univers rendu victorieux,
Son esprit se bornait à ne pouvoir comprendre,
Sinon qu'elle voyait un second Alexandre.
Ce nom me fâchait fort, comme indigne de moi;
Car bien qu'il fût vaillant, bien qu'il
fût un grand roi
Peut-être au quart du monde il fit jadis la
guerre
Et pour moi j'ai conquis tout le rond de la terre.
ALCIDON
Hé quoi! je n'ai point lu l'histoire de vos
faits;
Où vend-on ce beau livre?
ARTABAZE
Il ne parut
jamais.
L'auteur qui me suivit en ce fameux voyage
Avec tous ses écrits périt par un
naufrage.
De votre fille enfin j'ai détrompé l'esprit
Qu'on me nomme Artabaze, et qu'elle se méprit
Alors qu'elle pensa que j'étais Alexandre.
J'ai bien eu quelque peine à lui faire comprendre,
Tant elle était brouillée en son entendement,
Mais elle a fait alors un coup de jugement:
Pour gagner mon amour par un beau stratagème,
Elle feint sur-le-champ une colère extrême;
Mêmes elle ose bien passer jusqu'au mépris.
Son dessein réussit, soudain j'en suis épris:
Mon cœur lui fait présent de sa noble franchise,
Car je fuis qui me suit, j'aime qui me méprise;
Nul ne saurait plus haut porter l'ambition
Que d'oser renvier[77]
sur ma présomption:
C'est un trait généreux, et d'un hardi courage;
Aussi pour ce sujet je l'aime davantage.
Je veux croire qu'un jour il naîtra de nous deux
Un des plus grands guerriers et des plus hasardeux,
Un qui se fera voir sur la terre et sur l'onde
Mon digne successeur à l'empire du monde.
ALCIDON
Vous êtes empereur?
ARTABAZE
Je le suis en pouvoir.
ALCIDON
Il faut donc devant vous être dans son devoir[78].
ARTABAZE
Couvrez-vous; ces respects ne sont que tyrannies,
Je ne m'amuse pas à ces
cérémonies.
ALCIDON
Vous devriez[79]
donc avoir en cette qualité
Grand nombre de suivants.
ARTABAZE
Ce n'est que vanité.
A garder mes États ma suite est occupée.
Je suis, il me suffit, suivi de mon
épée.
ALCIDON
Vous me ferez faveur si vous me racontez
Où sont ceux maintenant que vous avez
domptés.
Sont-ils morts ou captifs, tous ces rois et ces
princes.
ARTABAZE
Non, je leur ai fait grâce, ils sont dans leurs
provinces,
Mais ils sont seulement déchus de leurs
honneurs;
Car, au lieu d'être rois, ce sont des
gouverneurs.
ALCIDON
Quel temps avez-vous mis à conquérir la terre ?
ARTABAZE
En un mois à peu près j'achevai cette guerre;
Je pris, s'il m'en souvient, I'Europe en quatre jours,
Et sans de ma victoire interrompre le cours,
Je fis voile en Asie, et passant le Bosphore
En six jours je domptai les peuples de l'Aurore.
En deux jours je revins de ces lieux reculés,
Je passai la mer Rouge et les sablons
brûlés,
Puis en moins de huit jours je pris toute l'Afrique.
De là passant les flots de la mer Atlantique
Je conquis les climats de nouveau découverts,
Et fus au bout du mois maître de l'Univers.
ALCIDON
O Dieux! que la valeur est chose merveilleuse!
Quelle vertu peut être à ce point
glorieuse ?
Elle porte partout l'épouvante et la mort
Tout fléchit sous ses lois, tout cède
à son effort
Elle donne ou ravit et les biens et la vie,
Et rend sous son pouvoir toute chose asservie.
ARTABAZE
Il est vrai, la valeur est la haute vertu
Par qui rien n'est si grand qu'il ne soit abattu.
ALCIDON
D'elle nous vient la paix, d'elle vient la richesse,
D'elle vient la grandeur, d'elle vient la noblesse
C'est l'appui du pays, le lustre des maisons
Elle est utile enfin pour cent mille raisons.
Je tiens à grand honneur de vous avoir pour
gendre;
À peine à cette gloire eussé-je
osé prétendre.
ARTABAZE
Je vous veux rendre heureux.
ALCIDON
Ô I'excès de bonté
Qui part de la grandeur de Votre Majesté!
ARTABAZE
Vous savez plaire aux grands.
ALCIDON
Vous voyez ma
demeure.
Vous pourrez vous y rendre au plus tard dans une heure.
Je m'en vais voir ma fille, afin de l'avertir
Que de ses beaux habits elle doit se vêtir.
ARTABAZE
Elle me plaît assez en l'habit ordinaire.
Mais j'ai peur qu'elle craigne une humeur sanguinaire,
Un homme de carnage, et de meurtre, et d'horreur,
Et dont les fiers regards donnent de la terreur.
ALCIDON
Adoucissez un peu cette mine hautaine.
ARTABAZE
Bien donc. Adieu, bonhomme.
ALCIDON
Adieu, grand
capitaine.
ACTE V
SCÈNE
PREMIÈRE
ALCIDON
La richesse, I'amour, le savoir, la vaillance,
La richesse, I'amour, la valeur, la science:
Je crois que ce sont quatre; il ne m'en faut que trois.
Il faut qu'encore un coup je compte avec mes doigts:
L'amitié, le savoir, la valeur, la richesse...
bons Dieux! ce sont quatre à qui j'ai fait promesse;
J'ai seulement chez moi trois filles à pourvoir.
Ces gendres cependant viendront ici ce soir:
Qui dois-je rebuter? qui dois-je satisfaire?
À qui de tous ces quatre oserai-je déplaire?
Ah! c'est un ennemi que j'aurai sur les bras.
Quelle confusion! bons Dieux! quel embarras!
Voyons qui je pourrais rebuter de ces quatre.
Choisissons l'ennemi le plus doux à combattre.
Celui de qui paraît l'excessive amitié
Acquit ma bienveillance en me faisant pitié;
Aussi c'est un bonheur le plus rare du monde
Quand sur l'honnêteté quelque
amitié se fonde.
Mais je veux que mon cœur ait bien la
dureté
De voir ce pauvre amant tristement rebuté:
Le voilà
dans les pleurs, le voilà dans les plaintes;
Tandis, des
médisants nous aurons mille atteintes:
« J'ai
pitié, dira-t-on, de ce pauvre affligé;
Mais la fille
avait tort de l'avoir engagé:
Sans de grandes
faveurs il est hors d'apparence[80]
Qu'il ait pu
concevoir une grande espérance. »
Je ne puis me
résoudre à souffrir ces discours,
Ni même
à ruiner de si tendres amours.
Pourrais-je rebuter
celui dont la doctrine,
Paraît
comme un rayon de sagesse divine?
J'ai toujours
révéré les gens de grand savoir
Et si je le
méprise, il s'en va s'émouvoir;
Il s'en va contre
moi composer des histoires,
Et quelque gros
recueil d'écrits diffamatoires;
Le courroux d'un
savant est des plus dangereux:
Je ne veux point
tenter d'être si malheureux.
Aussi d'autre
côté pourrai-je avec rudesse
Te chasser de
chez moi, vénérable richesse,
Nourrice des
humains, cher et puissant secours?
J'aurais bien
mérité le reste de mes jours
De voir devant
mes pieds, pour éternel supplice,
De la
nécessité le triste précipice.
Puis, manquant de
promesse à cet homme puissant,
Il peut par sa
richesse opprimer l'innocent:
Contre un riche
ennemi l'on a peu de défense;
Il pourrait
méditer quelque insigne vengeance,
M’ imputer
quelque crime, aposter des temoins,
Me priver et de
biens et d'honneur pour le moins
Et,
n'étant pas de mort la sentence suivie,
Payer des
assassins pour me priver de vie.
Dieux! je n'ai
pas encor si peu de jugement
Que manquer de
respect pour un si riche amant.
Mais oserais-je
aussi mépriser la vaillance
Qui donne tout
à l'humble et punit qui l'offense?
S'il savait
seulement que j'eusse osé douter
Pour l'accepter
pour gendre ou pour le rebuter
Un seul de ses regards, ainsi qu'un trait de foudre,
Serait assez puissant pour me réduire en poudre.
Sans doute il pourrait bien, avec quelque raison,
Sur ce cruel mépris saccager ma maison.
À quoi suis-je réduit? quel conseil
dois-je prendre?
Tout me plaît et me nuit. Mais j'aperçois
Lysandre.
SCÈNE
II
ALCIDON, LYSANDRE
ALCIDON
De votre gaieté le sujet est-il grand?
LYSANDRE
Je viens d'accommoder un plaisant différend.
J'ai vu de toutes parts une troupe accourue
Au bruit d'une querelle en la prochaine rue.
C'était
d'un grand poète avec un grand guerrier.
Le guerrier
fuyait l'autre en l'appelant sorcier,
Et le
poète après, qui d'une voix hautaine
Criait que des
poltrons c'était le capitaine.
« Venez,
leur ai-je dit, je vous veux accorder. »
Puis j'ai dit au guerrier: « Je
veux vous demander:
Ceux qui sous vos
drapeaux marchent dans les batailles,
Ce ne sont que
poltrons, ce ne sont que canailles;
Si d'eux avecque
vous on fait comparaison,
Vous êtes
des poltrons chef par cette raison;
C'est ainsi qu'il
l'entend.—Bon, dit-il, de la sorte.
—Vous,
chéri d'Apollon, c'est honneur qu'il vous porte
En vous nommant
sorcier: par vos vers ravissants
Vous nous
ensorcelez, vous enchantez nos sens;
C'est ainsi qu'il entend que vous faites des charmes.
»
J'ai mis ainsi d'accord les Muses et les Armes.
ALCIDON
Pussiez-vous aussi bien soulager mes ennuis
Et me débarrasser de la peine où je
suis!
LYSANDRE
Quel tourment avez-vous?
ALCIDON
Ah! vous allez l'entendre:
La peine où je me trouve est d'avoir trop d'un gendre.
LYSANDRE
Quoi! vous en avez trop? Où les avez-vous pris?
ALCIDON
Je n'en voulais que trois, mais je me suis
mépris;
Ma parole est à quatre à présent
engagée,
Et c'est là le tourment de mon âme
aifligée;
Ils s'en vont tous ici paraître en un moment.
LYSANDRE
Qui sont-ils?
ALCIDON
Vous savez ce misérable amant,
Et celui qui possède une grande richesse
A qui j'ai fait tantôt devant
vous ma promesse.
Quand j'ai trouvé ce riche, une heure
auparavant
Je m'étais engagé pour un homme savant;
Depuis, sur quelque bruit faisant ici la ronde,
Je n'ai pu refuser au plus vaillant du monde.
Voilà doncque les quatre à qui tous j'ai promis;
Et si je manque aux uns, j'en fais des ennemis.
Chacun également me semble désirable;
Et nul
dans le mépris ne sera supportable.
LYSANDRE
Hé quoi! pour ce malheur se faut-il
étonner?
ALC LDON
Lysandre, quel conseil me pourriez-vous donner?
Pour moi je suis confus.
LYSANDRE
Pauvre homme que vous êtes
On peut dans les accords trouver mille
défaites;
L'un d'eux peut être exclu sans en être
irrité.
ALCIDON
Pour moi je n'entends point tant de subtilité.
Vous êtes mon conseil, vousétes mon
refuge,
Je mets tout en vos mains, et vous en fais le juge.
LYSANDRE
Puisque vous le voulez, laissez-les donc venir.
Tandis, voyons Mélisse, il faut l'entretenir.
ALCIDON
Dieux! que vous me rendez un charitable office!
Je m'en vais l'appeler. Venez ici, Mélisse.
LYSANDRE
Il faut auparavant savoir sa volonté.
ALCIDON
Elle suit mon vouloir, je n'en ai point douté.
SCÈNE III
LYSANDRE, MÉLISSE, ALCIDON
LYSANDRE
Mélisse, Savez-vous pourquoi l'on vous appelle?
MÉLISSE
Je ne sais.
LYSANDRE
Pour vous dire
une bonne nouvelle
Alcidon vous marie.
MÉLISSE
Hélas que
dîtes-vous?
Je veux plutôt la mort.
LYSANDRE
Modérez ce Courroux.
MÉLISSE
Je souffrirais qu'en moi quelqu'un osât
prétendre
Après ce que j'ai lu du vaillant Alexandre?
Mon cœur qui dès longtemps adore sa
grandeur
Pourrait se voir épris d'une plus vile ardeur?
Mille coups perceraient ce cœur traître et volage
S'il avait entrepris
d'effacer son image.
ALCIDON
Hélas! ma fille est folle.
MÉLISSE
Ah! je ne la suis point.
Qu'on me donne un mari valeureux à ce point,
Un qui devant trente ans ait gagné cent batailles
Qui seul se soit lancé du plus haut des murailles
Dans un bourg assiégé, parmi tant d'ennemis,
Et qui dessous ses lois ait cent peuples soumis.
ALCIDON
Oui, j'ai trouvé ton homme.
MÉLISSE
En est-il sur la terre?
ALCIDON
J'ai celui qu'il te faut, un grand homme de guerre,
Un plus grand qu'Alexandre, un qui dedans un mois
A fait à l'Univers reconnaître ses fois.
LYSANDRE
Quel est ce grand guerrier? C'est pour lui faire
accroire.
ALCIDON
Non; lui-même tantôt m'a conté son
histoire.
LYSANDRE
Vous êtes fol vous-même. Ô Dieux! le croyez-vous?
MÉLISSE
N'est-ce point Artabaze ?
ALCIDON
Oui.
MELISSE
Ce maître des fous?
Pourrait-on rencontrer un plus lâche courage?
Mais, mon pére, que sert de parler davantage ?
Rien ne me peut résoudre au lien conjugal
Si ce n'est Alexandre, ou du moins son égal.
ALCIDON
Ô Dieux!
LYSANDR
Que voulez-vous? C'est là sa rêverie.
Mais sans perdre le temps appelez Hespérie:
Elle sera plus sage
ALCIDON
Hélas! quelles douleurs!
J'entre par sa folie en de nouveaux malheurs.
SCÈNE
IV
LYSANDRE, HESPÉRIE, ALCIDON, MÉLISSE
LYSANDRE
Hé bien, belle HesPérie, Alcidon ce bon
pére
Vous marie aujourd'hui, c'est de vous qu'il
espère
Un Cœur obéissant: vous aurez à
choisir.
HESPÉRIE
Hélas! je
le sais bien; c'est tout mon déplaisir.
De vrai je puis
choisir entre près de cent mille;
Mais, funeste
richesse! abondance inutile!
Si j'en vais
choisir un, quel barbare dessein!
Je mets à
tout le reste un poignard dans le sein.
ALCIDON
Vous croyez un peu trop que chacun vous adore.
HESPÉRIE
Ah! quel aveuglement! En doutez-vous encore?
Voulez-vous publier que je vais faire un choix,
Pour voir combien d'amants vivent dessous mes lois?
Ah! mon pére, I'épreuve en serait trop
cruelle.
Voudriez vous à ce point me rendre criminelle ?
Soudain que l'on verrait l'heureux choix de mes yeux,
Ce glorieux amant, ce favori des cieux,
Les autres, hors d'espoir, tristes et misérables
Feraient tout retentir de cris épouvantables;
Les uns se noieraient aux plus prochaines eaux,
D'autres iraient chercher le secours des cordeaux,
Les uns se lanceraient du haut des précipices,
Je verrais devant moi les sanglants sacrifices
Des autres dont la main fınirait le malheur;
Et le reste
mourrait de sa propre douleur.
Mon âme
serait bien en cruauté féconde
D'exterminer,
pour un, tout le reste du monde.
ALCIDON
Bons Dieux! quelle folie!
HESPÉRIE
Ah! pour l'heur d'un amant
Voudriez-vous que le reite entrât au monument ?
Non, je n'en ferai rien, je n'ai pas ce courage;
Je me veux pour jamais priver du mariage.
ALCIDON
Est-ce ainsi que l'on suit mon vouloir absolu?
LYSANDRE
Vous voyez, Alcidon, ce qu'elle a résolu.
Nous ne lui ferons pas changer de fantaisie[81].
ALCIDON
Ma douleur, qui s'accroît, rend mon âme
saisie.
Dieux! que pourrai-je dite à tous ces amoureux?
HESPERIE
Que plutôt que mourir ils vivent malheureux.
ALCIDON
Toujours dans son erreur cette folle s'engage.
Mais voici Sestiane; elle sera plus sage.
SCENE
V
LYSANDRE, SESTIANE, ALCIDON,
HESPÉRIE, MÉLISSE
LYSANDRE
Venez, belle parente; on vous veut marier.
SESTIANE
Pour moi, n'en parlons point. Mais je viens vous
prier:
Si l'une de mes sœurs aujourd'hui se marie,
Au moins après souper ayons la comédie.
Sans en avoir le soin, laissez-la-moi choisir;
J'en sais une nouvelle où vous prendrez
plaisir.
LYSANDRE
Pour moi, je prévois bien, si l'on n'y
remédie,
Que ces noces pourront finir en comédie.
ALCIDON
Mais je veux dès ce soir vous marier aussi.
SESTIANE
Il ne faut point
pour moi vous mettre en ce souci.
Je ne veux de ma
vie entrer en mariage,
Ne pouvant pas
porter les soucis d'un ménage.
Puis je
rencontrerais quelque bizarre humeur,
Qui dedans la
maison ferait une rumeur
Quand je voudrais
aller à quelque comédie;
Pourmoi, qui ne
veux pas que l'on me contredie,
Quand il le
défendrait, je dirais: « Je le veux »,
Et s'il donnait
un coup, j'en pourrais rendre deux.
Si l'on doit se
trouver en quelques assemblées,
Aussitôt
des maris les têtes sont troublées:
Ils pensent que
c'est là que se voit le galant,
Que se donne
l'œillade et le poulet coulant.
Les pièces
que l'on joue en ces nuits bienheureuses,
Ne parlant que
d'amour, leur semblent dangereuses.
«
Pensez-vous, disent-ils, qu'on vous veuille souffir
À dormir
tout le jour, et la nuit à courir? »
Mais leur plus grand dépit est facile à
connaître;
C'est que dedans ces lieux ils n'oseraient
paraître
Car on dit ausSitôt: « Voyez-vous le jaloux?
Il suit partout sa femme », et comme à des hiboux
Qui des gentils oiseaux sont la haine et la crainte
Chacun veut de son bec leur donner une atteinte.
Je ne veux point, mon pére, épouser un censeur.
Puisque vous me souffrez recevoir la douceur
Des plaisirs innocents que le théâtre apporte
Prendrais-je le hasard de vivre d'autre sorte?
Puis on a des
enfants qui vous sont sur les bras:
Les mener au
théâtre, ô Dieux! quel embarras!
Tantôt
couche, ou grossesse, Ou quelque maladie
Pour jamais vous
font dire: « Adieu la Comédie! »
Je ne suis pas si
sotte; aussi je vous promets
Pour toutes ces
raisons d'être fille à jamais.
LYSANDRE
A voir comme elle parle, un homme bien habile
Aurait peine à la vaincre.
ALCIDON
O mon choix inutile
De si rares partis qu’il
faut congédier
Si pas une à présent ne se veut marier!
Naguère je croyais n'avoir trop que d'un gendre
Mais, bons Dieux! maintenant j'en ai quatre à
revendre
Mes filles, est-ce là le respect qui m'est
dû?
LYSANDRE
Je vois déjà venir un gendre
prétendu.
Prenez garde, Alcidon; c'est l'amant, ce me semble.
ALCIDON
Que lui pourrai-je dire? Ah! tout le corps me tremble.
SCÈNE
VI
FILIDAN, LYSANDRE, ALCIDON,
HESPÉRIE,
MÉLISSE, SESTIANE
FILIDAN
Enfn c'eit à ce coup; mes yeux seront ravis.
LYSANDRE
Laquelle aimez-vous donc?
FILIDAN
Jamais je ne la
vis;
Je ne sais quelle elle est.
LYSANDRE
Dieux! est-il possible?
Est-ce là cette amour qui vous rend si sensible?
FILIDAN
Mais faites-moi donc voir cette rare beauté
De qui le seul récit m'a l'esprit
enchanté
Vous me l'avez promis; ce désir me
dévore.
Faites-la-moi donc voir, la beauté que j'adore.
M'aviez-vous pas remis à la fin de ce jour?
ALCIDON
De mes filles voyez laquelle a votre amour.
FILIDAN
Non, je ne vois point là cet objet adorable.
HESPÉRIE
Il n'ose me nommer; ô respect admirable!
SCÈNE
VII
FILIDAN, AMIDOR, ALCIDON, LYSANDRE,
MÉLISSE, HESPÉRIE, SESTIANE
FILIDAN
C'est se moquer de moi, faites-moi voir cet or
Cet azur, ce coral, cet aimable trésor.
AMIDOR
Il parle d'un objet qu'il adore en idée,
Et sur mon seul discours cette amour est
fondée.
C'est un fantasque objet que ma muse a produit:
En vain ce pauvre amant le cherche et le poursuit.
FILIDAN
Il ne m'importe donc; mon
âme en est ravie.
Je te veux, belle Idée, aimer toute ma vie.
ALCIDON
Ô Dieux! quelle folie!
LYSANDRE
Il est fort satisfait.
Courage! c'en est un dont vous voilà
défait.
ALCIDON
Mais c'est là le savant.
LYSANDRE
Hé quoi!
c'est mon poète.
Pour lui je vais
bientôt trouver une défaite.
Et vous, grand
Apollon, que cherchez-vous ici?
AMIDOR
Je viens rendre, Alcidon, votre esprit
éclairci.
Tantôt, étant troublé d'une surprise grande
D'une de ces beautés j'ai tenté la demande,
Ne sachant que vous dire en cet étonnement;
Puis un faiseur de vers feint toujours d'être amant.
Mais, pour dire le vrai, nulle amoureuse flamme
Depuis que je suis né n’est entrée dans mon âme.
D’Hélicon seulement j’aime le noble
val,
Et l’eau fille du pied de l’emplumé
cheval[82]
J’aime les bois, les prés, et les grottes
obscures;
J’aime la poésie et ses doctes figures.
Dans mon commencement, en l’avril de mes jours,
La riche métaphore occupa mes amours;
Puis j’aimais l’antithèse au sortir
de l’école;
Maintenant je me meurs pour la haute hyperbole:
C’est le grand ornement des magnifiques vers,
C’est elle qui sans peine embrasse
l’univers;
Au ciel en ce moment, on la voit
élancée,
C’est elle qui remplit la bouche et la
pensée.
O ma chère hyperbole, Hyperbole mon coeur,
C’est toi qui d’Atropos me rendras le
vainqueur.
SCÈNE
VIII
LYSANDRE, ALCIDON, PHALANTE, FILIDAN,
AMIDOR, MÉLISSE, HESPÉRIE, SESTIANE
LYSANDRE
Vous voir bien satisfait, c'est ce qui nous contente.
Mais en voici quelque autre.
ALCIDON
Ah! bons Dieux, c'esy Phalante
Celui dont la richesse est sans comparaison.
Surtout je suis épris de sa belle maison.
Mélisse à son bonheur aurait l'esprit
contraire
Ne trouvant point en lui de quoi se satisfaire.
LYSANDRE
Au récit de ses biens je m'en vais l'engager
Et l'humeur de Mélisse en pourrait bien changer.
Pour passer avec vous l'accord du mariage
Il faut voir votre père avant que l'on
s'engage.
PHALANTE
Il est mort. Et ma mère.
LYSANDRE
O dieux! Quelle
douceur!
Déjà de tous ces biens vous êtes
possesseur?
PHALANTE
Non, de biens j’en ai peu. Mes oncles
m’entretiennent.
LYSANDRE
Ceux à qui tous ces biens maintenant
appartiennent
N'ont point doncque d'enfants? et vous en
héritez?
PHALANTE
D'enfants? Ils en ont tous en quelques
quantités,
Mais ils sont tous mal sains: les uns sont pulmoniques
Les autres caterreux, les autres hydropiques;
Ils ont la mine au moins de tomber en ces maux;
Puis à quoi sont sujets les mortels animaux?
Il ne faut qu'un malheur, une peste, une guerre,
Pour mettre en un moment tous ces parents par terre.
Alors me voilà riche; et ne savez-vous pas
Qu'on voit en peu de jours tant de têtes à bas?
LYSANDRE
Ce sont là vos trésors? c'est là cette abondance?
ALCIDON
La mort de vos parents est donc votre espérance ?
PHALANTE
Cela peut arriver de moment en moment.
LYSANDRE
Et je m'étais promis un si beau logement
Dedans cette maison où je pensais
m'ébattre.
Mais donc qui la possède?
PHALANTE
Elle appartient à quatre.
LYSANDRE
N'ont-ils point de lignée?
PHALANTE
Ils ont tous des enfants.
LYSANDRE
Adieu, belle maison et beaux arcs triomphants!
Adieu, cours, anticours, adieu,
belle avenue,
Vous, fontaines, adieu, qui touchez à la nue;
Adieu lambris dorés, adieu meubles divers,
Logements des étés, logements des hivers!
Adieu cet ordre égal de colonnes doriques,
Adieu ce riche amas de figures antiques,
Adieu larges canaux, beaux jardins ravissants,
Adieu ce riche parc qui nous charmait les sens,
Adieu belle Niobe, adieu voûtes liquides,
Adieu beaux orangers, adieu les Danaïdes!
Beau lieu de qui l'espoir nous avait réjouis,
Vos miracles soudain se sont évanouis.
ALCIDON
Nous vous remercions, ô riche imaginaire,
De l'honneur excessif qu'il vous plaisait nous faire.
PHALANTE
Avec mes biens d'espoir je me ris des malheurs.
LYSANDRE
Vous en pouvez jouir sans craindre les voleurs.
ALCIDON
Mais je crains celui-ci.
LYSANDRE
Quoi? C'est mon capitaine.
Je connais sa valeur; n'en soyez pas en peine.
SCÈNE
DERNIERE
ARTABAZE, LYSANDRE,
ALCIDON,
FILIDAN, AMIDOR, PHALANTE,
MÉLISSE, HESPÉRIE, SESTIANE
ARTABAZE
Hé bien, mes bons amis, vous êtes
assemblés;
C'est pour me recevoir. Je crois que vous tremblez;
A peine souffrez-vous mes regards effroyables:
Je veux pour vous parler les rendre supportables,
Car je ne pourrais pas, sans cet ajustement,
Avec nul des mortels converser un moment.
LYSANDRE
Cette faveur est grande.
ARTABAZE
Elle n'est pas
commune.
Souffrez donc, mes amis, un revers de fortune:
Vous allez trébucher du faîte du bonheur.
Je vous ai fait, bonhomme, espérer un honneur,
Honneur que Jupiter ose à peine prétendre,
De me loger chez vous, et de m'avoir pour gendre;
Je viens vous avertir que c'est mon passe-temps
De rendre quelquefois des pères bien contents,
Leur faisant concevoir cette haute espérance,
Mais j'ai pitié de vous et de votre innocence.
Sans vous faire languir dans l'espoir d'être
heureux
De vos filles jamais je ne fus amoureux:
Bonhomme, supportez cette douleur extrême,
Car je suis seulement amoureux de moi-même.
LYSANDRE
Tant s'en faut, grand guerrier; si vous êtes
content,
Je n'en vois
point ici qui ne le soit autant.
Doncque peu
d'entre vous veulent du mariage:
Vous n'êtes
pas si fous, car fol est qui s'engage.
Voilà
donc, Alcidon, votre esprit déchargé,
Puisque au lieu
de se plaindre on vous donne congé.
Votre cœur
est-il gai, mes parentes jolies?
Enfants, jouissez
tous de vos douces folies;
Ne changez point
d'humeur: plus heureux mille fois
Que les sages du
temps, les princes, ni les rois.
Que l'une aime
toujours son vaillant Alexandre;
Que l'autre tous
les cœurs puisse à jamais prétendre
L'esprit de
celle-ci peut braver le malheur,
Aimant la
comédie avec tant de chaleur;
Que l'un de son
Idée en fasse son idole;
L'autre toute sa
vie adore l'hyperbole;
L'un attende
toujours la mort de ses parents;
Et l'autre, plus heureux
que tous les conquérants,
Demeure satisfait
de sa valeur extrême,
Et soit jusqu'au
trépas amoureux de lui-même.
DESMARETS
DE SAINT-SORLIN
LES
VISIONNAIRES'
Comédie
ARGUMENT
Dans cette
comédie sont représentés plusieurs sortes d'esprits chimériques
ou visionnaires, qui sont atteints chacun de quelque folie particulière;
mais c'est seulement de ces folies pour lesquelles on ne renferme personne, et
tous les jours nous voyons parmi nous des esprits semblables, qui pensent pour le
moins d'aussi grandes extravagances, s'ils ne les disent.
Le premier est
un capitan, qui veut ou'on le croie fort vaillant, toutefois il est poltron
à un tel point qu'il est réduit à craindre la fureur d'un
poète, laquelle il estime une chose bien redoutable et est si ignorant
qu'il prend toutes ses façons de parler poétiques et
étranges pour des noms de démons et des paroles magiques.
Le second est
un poète bizarre, sectateur passionné des poètes
français qui vivaient devant ce siècle, lesquels semblaient par
leurs terrnes ampoulés et obscurs avoir dessein d'épouvanter le
monde, étant si aveuglément amoureux de l'Antiquité qu'ils
ne considéraient pas que ce qui était bon à dire parmi les
Grecs et les Romains, imbus des diverses appellations de leurs Dieux, et des
particularités de leur religion, dont les fables étaient le
fondement, n'est pas si facilement entendu par ceux de ce temps, et qu'il faut
bien adoucir ces termes quand on en a besoin, soit aux allégations des
fables ou en d'autres rencontres. Celui-ci, par la lecture de ces
poètes, s'est formé un style poétique si extravagant qu'il
croit que plus il se relève en mots composés et en hyperboles,
plus il atteint la perfection de la poésie, dont il fait même des
règles à sa mode, principalement pour les pièces de théâtre,
en quoi il pense être fort habile; témoin un sujet qu'il compose
sur-le-champ, dont l'immensité et la confusion font voir le
défaut de son jugement. Il ne laisse pas d'avoir asæz d'esprit
pour se jouer d'un sot qui se mêle d'aimer les vers sans y rien
connaître.
Ce troisième
est un de ceux, dont le nombre est si grand qui se piquent d'aimer les vers
sans les entendre, font des admirations sur des choses de néant et
passent ce qui est de meilleur, et prennent des galimatias en termes
relevés pour quelques belles sentences et pour les plus grands efforts
de la poésie. Ces sortes d'esprits, pourvu que les vers semblent graves,
ne manquent point de les approuver, sans penser seulement à les
entendre. Mais il n'y a rien de plus ordinaire que de voir ces mêmes
idiots, qui veulent faire croire qu'ils ont l'esprit sensible et délicat
et qu'ils savent aimer tout ce qui est beau, s'imaginer, comme celui-ci, qu'ils
sont amoureux, sans savoir bien souvent de qui, et sur le récit que l'on
leur fait de quelque beauté, courir les rues, et se persuader qu'ils
sont extrêmement passionnés, sans avoir vu ce qu'ils aiment.
Le quatrième est un riche imaginaire, dont il se trouve assez par le
monde, et de qui la folie ne parait qu'au cinquième acte; car dans les
autres il parle sérieusement de ses richesses, comme il paraît
dans la description de sa belle maison, où il ne se trouve rien
d'extravagant et qui ne soit imaginé selon la vraisemblance,
étant une chose ordinaire que chacun est sérieux dans sa folie.
L'amante d'Alexandre n'est pas une chose sans exemple, et
il y a beaucoup de filles qui, par la lecture des histoires et des romans, se
sont éprises de certains héros, dont elles rebattaient les
oreilles à tout le monde, et pour l'amour desquels elles
méprisaient tous les vivants.
Est-il rien de plus ordinaire que de
voir des filles de l'humeur de la seconde, qui se croit être aimée
de tous ceux qui la regardent ou qui entendent parler d'elle, bien que
peut-être elles ne disent pas si naïvement leurs sentiments?
Pour la troisième soeur, il
s'en trouve beaucoup comme elle, amoureuses de la Comédie. à
présent qu'elle est si fort en règne[83],
particulièrement de celles qiu se mêlent d'en juger, d'en savoir
les règles, d'inventer des sujets selon la portée de leurs
esprits, tels que celui que récite celle-ci, dans lequel il y a plus de
matière qu'il n'en faudrait pour vingt comédies; encore ne
sait-on que le troisième acte, et si. la pièce a duré
déjà pour le moins trente ans. Toutefois on peut voir les
véritables règles dans l'opinion des critiques qu'elle
allègue au poète pour en avoir son avis, qui sont celles que l'on
doit suivre, encore que ces deux extravagantes personnes n'en demeurent pas
d'accord.
Le père de ces trois filles
n'est guère plus sage qu'elles. Il est d'une humeur si facile que tout
homme qui se présente pour avoir en mariage l'une de ses filles lui
semble toujours être son fait; qu'un autre vienne après, il trouve
encore que c'est ce qu'il lui faut. Et pour en accepter trop, il s'embarrasse
tellement qu'il ne sait ce qu'il doit faire à Ia fin de la pièce,
dont le démêlement se fait par un de ses parents, qui est le seul
qui soit raisonnable entre tous ces personnages.
Toutes ces
folies, bien que différentes, ne font ensemble qu'un sujet, et, pour les
bien représenter toutes, on ne pouvait pas leur donner une liaison aussi
grande que celle qui se peut donner aux comédies où n'agissent
que deux ou trois principaux personnages, et l'intrigue de celle-ci n'ect qu'en
l'embarrassement du bonhomme qui lui est causé par tous les gendres
qu'il a acceptés; le reste n'est soutenu que des extravagances de ces
visionnaires, qui se mêlent encore ensemble en quelque sorte, pour faire
mieux paraître ces folies les unes par les autres.
Quelques-uns ont voulu reprendre cette comédie de ce
qu'elle n'était pas propre pour toutes sortes de gens, et que ceux qui
n'ont aucun savoir n'en pouvaient entendre beaucoup de mots. Mais depuis quand
les ignorants sont-ils devenus si considérables en France que l’
on doive tant s'intéresser pour eux, et que l'on soit obligé
d'avoir soin de leur plaire ? Pensez que l'on doit bien du respect, ou à
la bassesse de leur condition, ou à la dureté de leurs esprits, ou au mépris
qu'ils ont fait des lettres, pour faire que l'on songe à les divertir!
Nous ne sommes pas dans ces républiques où le peuple donnait les
gouvernements et les charges, et où les poètes étaient
contraints de composer, ou des tragédies horribles, pour plaire à
leur goût bizarre, ou des comédies basses, pour s'accommoder
à la portée de leurs esprits. Ceux qui ne composent des ouvrages
que par un honnête divertissement ne doivent avoir pour but que l'estime
des honnêtes gens, et c'est à leur jugement qu'ils adressent
toutes leurs inventions et leurs pensées. Le peuple a l'esprit si
grossier et si extravagant qu'il n'aime que des nouveautés grotesques.
Il courra bien plutôt en foule pour voir un monstre que pour voir quelque
chef-d'œuvre de l'art ou de la nature. Je crois même qu'il y a des
poètes qui, pour contenter le vulgaire, font à dessein des
pièces extravagantes, pleines d'accidents bizarres, de machines
extraordinaires et d'embrouillements de scènes, et qui affectent des
vers enflés et obscurs et des pointes ridicules au plus fort des
passions, pourvu que les accidents soient étranges, tout ce qui se dit
sur leur sujet plaît au peuple, et encore plus si c'est quelque
pensée pointue et embarrassée, car alors moins il l'entend, plus
il la loue et lui donne d'applaudissements. Ce sont des esprits fort
avisés, qui ne songent qu'à cette vie présente, et qui
sont si modérés qu'ils n'affectent point la vie future des ouvrages, dont les seuls savants
sont les distributeurs. Mais encore ne doit-on pas trouver étrange si
ceux qui ne sont pas tenus d'avoir ces considérations pour le peuple, et
qui ne songent qu'à satisfaire les premiers esprits de l'Europe, ne
cherchent que les pures délicatesses de l'art, soit à
représenter les nobles et véritables mouvements des passions dans
les sujets sérieux, soit à réjouir les spectateurs par des
railleries gentilles et honnêtes dans les comiques. Après que les
personnes raisonnables seront satisfaites, il en restera encore assez pour les
autres et plus qu'ils n'en méritent. C'est ainsi qu'il arrive des
festins qui se font aux grands: après qu'ils ont fait leur repas il n'en
reste que trop encore pour les valets, et bien que les viandes n'aient pas
été apprêtées au goût de ces derniers, ils ne
laissent pas d'en faire bonne chère et l'on aurait tort d'accuser le
cuisinier d'une faute si l'un d'eux se plaignait que l'on devait avoir eu
égard à son goût plutôt qu'à celui des
maîtres. Aussi, ayant introduit un poète extravagant, on ne doit
pas se plaindre de ce qu'on le fait parler en termes poétiques
extravagants, et il importe fort peu que les ignorants l'entendent ou non, puisque cela n'a as été apprêté pour eux.
C'est être bien déraisonnable, d'accuser d'obscurité celui
qui dans la bouche du poète s’est voulu moquer de
l'obscurité des anciennes poésie.
Ce n'est pas pour toi que
j'é'cris,
Indocte etstupide vulgaire:
J'écris pour les nobles esprits,
Je serais marri de te plaire.
Les Visionnaires
NOTICE
Deux lettres de Chapelain permettent
de fixer assez précisément le moment de la création, au
Marais, des Visionnaires: entre le 15
février et le 6 mars 1637. À la première de ces deux
dates, en effet, Chapelain rend compte à Mlle Paulet d'une intervention
réussie qu'il vient de faire auprès de Desmarets pour lui faire
supprimer certaines allusions inopportunes à la querelle du Cid; les termes de la lettre impliquent que la pièce n'a pas encore
été jouée mais a seulement été lue à
l'hôtel de Rambouillet. Au contraire, le 6 mars, il parle à Guez
de Balzac de la comédie comme «donnée au public ».
On a épilogué sur la
question de savoir qui aurait suggéré à l'auteur le sujet
de la pièce. À en croire Segrais, ce serait Richelieu, mais
certaines précisions qu'il se risque à donner conduisent à
douter du sérieux de ses dires. D'après le Menagiana, ce serait Bautru, mais Ménage tient cette information de Bautru
lui-meme, ce qui la rend suspecte: « M. de Bautru m'a dit que
c'était lui qui avait donné à M. Desmarets le dessein de
la comédie des Visionnaires, à
laquelle il a si bien réussi que l'on peut dire que c'est une
pièce inimitable. » Peu importe au demeurant. De cette citation
nous retiendrons surtout le titre de « pièce inimitable »
décerné aux Visionnaires.
Le succès en effet fut grand
—sinon immédiat: Desmarets écrira que sa comédie
« demeura longtemps méprisée », et qu'il fallut le
renfort des « connaisseurs » pour que les « mépriseurs
» eussent « honte de leur méprisl »—, et ce
succès fut durable. Le nombre des reprises l'atteste, nous sommes mal
renseignés sur celles qui ont précédé 1659, mais
nous savons que Molière a donné la pièce vingt et une fois
de cette année à I666 (dont une devant le roi et une chez
Foucquet) et que, reprise de nouveau en 1677 rue Guénégaud, elle
demeura à l'affiche de la Comédie-Fransaise jusqu'en 1695
(quarante-cinq représentations entre ces deux dates). D'autre part les
mentions élogieuses des Visionnaires sont très nombreuses au
XVIIe siècle. C'est d'abord un ballet de cour, La Boutade des
comédies (vers I646), sorte de
palmarès des meilleurs spectacles, qui consacre une entrée
à la pièce de Desmarets, avec un couplet d' « Artabaze
capitan » et un d' « Amidor poète ». C'est ensuite un
pamphlet, Le Parasite Mormon (I650),
dù sans doute à l'abLé La Motte Le Vayer, fils du
célèbre philosophe, qui pose cette question: « Croyez-vous
de bonne foi que le Don Quichotte, Le Berger extraragant, Les Visionnaires, La Gigantomachie et Le Pédant
joué aient moins acquis de gloire
à leurs auteurs que ne pourraient avoir fait les ouvrages les plus
sérieux de la philosophie. ? » Plus tard, en I675, le père
Rapin note qu'une même année « fut célèbre par
la représentation du Cid, de
Marianne et des Visionnaires dont la réputation dure encore et ce furent les commencements de
cette perfection où le théâtre s'est depuis
élevé parmi nous ». C'est ensuite Mme de
Sévigné qui, venant de voir la pièce pour la
première fois de sa vie, écrit à sa fille, le 4 août
I677: « La comedie du vendredi nous réjouit beaucoup. Nous
trouvâmes que c'était la représentation de tout le monde;
chacun a ses visions plus ou moins marquées. » Citons encore
Furetière, qui, à l'article « Visionnaires » de son
Dictionnaire, n'oublie pas de rappeler que « la comédie des Visionnaires
est un excellent ouvrage de Desmarets
».
Non sans arrogance, Desmarets
insiste, dans son Argument, sur le fait que sa pièce était
destinée aux doctes: « Ceux qui n'ont aucun savoir n'en pouvaient
entendre beaucoup de mots. Mais depuis quand les ignorants sont-ils devenus si
considérables en France que l'on doive tant s'intéresser pour
eux, et que l'on soit obligé d'avoir soin de leur plaire ? » Il s'agit
effectivement d'un genre de théâtre très
littéraire—trop peut-être; il y paraît à la
longueur et à la savante construc'tion des tirades, aux allusions
parfois pédantes soit à l'antiquité soit à la vie
intellectuelle de l'époque, au soin souvent ostentatoire avec lequel
sont respectées les unités; il est vrai que la question des
unités, et plus généralement celle de la
régularité, passionnaient alors le public.
“Je veux dedans ce jour, sans
prendre un plus long terme,
Choisir ceux qu’il me faut,
d’une volonté ferme.”
annonce le
père de famille en quête de gendres, et malgré le
scepticisme de son interlocuteur (« C'est beaucoup pour un jour »)
la pièce tiendra en effet « dedans ce jour »,
ponctuée, selon la mode du temps, d'insistantes indications chronologiques.
Il n'est pas certain que cet aspect de l'oeuvre soit le plus
propre à retenir l'attention du lecteur d'aujourd'hui. Ce qui captera
plus sûrement son intérêt, c'est le thème central de
la pièce, à savoir la folie. Un livre remarqué, l'Histoire
de la folie. de Michel Foucault et diverses études récentes, ont
mis à l'ordre du jour cette importante question d'histoire des
mentalités: comment les fous étaientils considérés
et traités à l'époque classique ? Je dis « fous
» pour employer le terme le plus général; à
l'époque on mélangeait constamment trois mots qui semblent avoir
été pratiquement interchangeables: « fou », «
extravagant » et « visionnaire ». On lit en effet dans la
première édition du Dictionnaire de I'Académie (1694),
à l'article « Vision »: « une imagination fausse,
folle, extravagante », à l'article « Visionnaire »:
« qui a de fausses ou de folles visions, qui a des imaginations
extravagantes », et, dans celui de Furetière, à l'article
« Vision »: « [...] une chimère, un spectre, une image
que la peur ou la folie font naître dans notre imagination », et
à l'article « Visionnaire »: « qui est sujet à
des visions, à des extravagances, à de mauvais raisonnements
».
Les fous, visionnaires, extravagants
furent, dans les années 1630-l650, très à la mode au
théâtre. Voici quelques titres révélateurs: Les
Folies de Cardénio de Pichou, La place
Royale ou l'Amoureux extravagant de Corneille, L'Hopital
des fous, plus tard transformé en Les
lllustres Fous, de Beys, La Folie du sage de Tristan L'Hermite—sans parler de pièces comme la Mélite
de Corneille ou le Cosroès de Rotrou, qui, sans le mentionner dans le titre, contiennent aussi des
scènes de folie. L'œuvre la plus intéressante pour notre
propos est L'Hopital des fous, tragi-comédie
créee en 1634 et imprimée en 1636; elle témoigne de deux
phénomènes que M. Foucault a bien mis en lumière: le grand
« renfermement » des fous, qui s'est produit à cette
époque, et l'habitude, qui s'est prolongée jusque dans le XIXe
siècle, de faire de ces fous enfermés un objet de divertissement
et de spectacle. Le concierge, dans cette pièce, exhibe ses personnages
moyennant finance; tour à tour sont ainsi présentés un
musicien, un philosophe, un astrologue, un alchimiste un soldat, tous
possédés par leur profession au point d'avoir perdu tout sens des
réalités: I'astrologue se prend pour le soleil, le philosophe
pour le Créateur.
Manifestement Desmarets a voulu se
démarquer de Beys en précisant au début de son Argument
que les folies de ses « visionnaires » sont de celles « pour
lesquelles on ne renferme personne » et que « tous les jours nous
voyons parmi nous des esprits semblables, qui pensent pour le moins d'aussi
grandes extravagances, s'ils ne les disent ». En pratique, pourtant, la
différence entre ses personnages et ceux de son devancier n'est pas
considérable; Beys avait, lui aussi, souligné que la folie des
pensionnaires de son hôpital était loin d'être totale:
« Toutes leurs images ne sont pas brouillées, ils ne sont
blessés qu'en un endroit », et, les limites de la folie et les
exigences de l'optique théâtrale étant les unes et les
autres imprécises, il est clair que l'on pourra toujours discuter du
caractère plus ou moins fou d'un
personnage de comédie. Nous avons vu que Mme de Sévigné se
montra disposée à reconnaître dans Les Visionnaires « la représentation
de tout le monde » (« chacun a ses visions plus ou moins
marquées »); Molière au contraire s'il faut en croire le Boloeana,
jugeait « qu'il ne fallait point
surtout faire comme Desmarets dans ses Visionnaires, qui a justement mis sur le théâtre des fous dignes des
« Petites-Maisons », car, disait-il, « qu'un homme s'imagine
être Alexandre, et autres caractères de pareille nature, cela ne
peut arriver que la cervelle ne soit tout à fait altérée
».
Essayons donc de préciser,
non le degré de folie de ces personnages, mais la nature de leur folie
et l'utilisation qui en est faite dans la pièce. Les Visionnaires appellent, à cet égard, trois remarques principales:
Chaque personnage a sa folie, qui
porte sur un point bien précis et qui n'altère pas sa
capacité de raisonner, ni de juger les autres, en sorte que cette
galerie de fous n'engendre pas ce qu'on pourrait appeler un univers de la
folie. C'est ce qui distingue nettement cette pièce de Desmarets, d'une
part des grandes œuvres baroques d'un Shakespeare (Le Roi Lear) ou d'un Calderon (LaVie est un songe), d'autre
part des modernes créations du « théâtre de l'absurde
»; dans Les Visiornaires tous les
repères restent en place.
Ces personnages se rattachent
à des types ou tendent à en créer. En inscrivant en
tête de leur liste « Artabaze, capitan », « Amidor,
poète extravagant », Desmarets ne prétend pas au
mérite d'une quelconque originalité, il s'inscrit au contraire
ostensiblement dans des traditions et la manière dont il passe en revue
ses « visionnaires » dans I Argument, définissant chacun
d'eux avec une parfaite netteté, illustre bien cette perspective
typologique.
« Étant une chose ordinaire
que chacun est sérieux dans sa folie », selon les termes de
l'Argument, ces fous tiennent des discours et développent des
systèmes cohérents; ils sont fous par l'application personnelle
que leur mégalomanie les conduit à se faire de leurs
idées, non nécessairement par celles-ci. Déjà Beys
soulignait, dans l'Avis au lecteur de L'Hopital des fous, que ses personnages étaient, en grande partie, des fous savants;
c'est au moins aussi vrai de ceux de
Desmarets.
Nous retrouvons là, par un
nouveau biais, ce côté docte des visionnaires dont l'auteur s'est tant glorifié. Toutes ces folies sont au
fond, des folies littéraires, plus précisément des folies
nées de la littérature. C'est bien évident pour le «
poète extravagant » l’ « amoureuse d'Alexandre le
Grand », l' « amoureuse de la Comédie », mais c'est
aussi le cas de l' « amoureux en idée » victime d'une liaion
littéraire dont il se fait une réalité, du « riche
imaginaire », grisé par la pratique du grand style descriptif, de
celle « qui croit que chacun l'aime », rendue folle par les poncifs
du romanesque et de la galanterie, du capitan enfin, nourri de
littérature épique et grand maître de l'hyperbole.
Mais à quoi tend toute cette
science ? Il n'est pas toujours aisé de répondre à cette
question, et l'on ne saurait le faire en bloc Il existait en effet, quant
à l'usage idéologique de la folie, deux possibilités
opposées: mettre dans la bouche d'un fou des idées que l'on
voulait discréditer, ou au contraire risquer sous le couvert de la folie
des idées trop hardies pour qu'on osât les présenter
directement; d'autre part, ces fous n'étaient pas, comme on l'a vu, fous
en toutes choses, ils se relayaient pour représenter, les uns à
l'égard des autres, le point de vue du bon sens... et de l'auteur. Il
règne donc a priori une grande ambiguité quant aux intentions de
Desmarets mettant dans la bouche d'un de ses « visionnaires » telle
affirmation ou telle théorie.
Dans la plupart des cas, cependant, on
voit bien où il voulait en venir. C'est ainsi qu'Amidor, «
poète extravagant », est certainement ridicule dans son goût
de l'archaisme et dans sa fidélité au langage de Ronsard et
surtout de Du Bartas; nous avons déjà ici la prise de position
d'un « moderne », en même temps que celle d'un
académicien engagé dans la réformation de la langue
française. De même, quand Amidor, à la scène IV de
l'acte II, prend parti contre les règles du théâtre, il est
clair que l'auteur lui donne tort. En revanche, quand le même Amidor,
à la fin de la scène IV de l'acte III, s'en prend aux
méfaits des romans « dans les jeunes esprits », il reprend
une idée reçue que Desmarets ne saurait désapprouver,
puisque son « amoureuse d'Alexandre » en fournit la parfaite
illustration. Autre exemple de développement qui, pour constituer en
l'occurrence une preuve de folie, n'en est pas moins sérieux en lui-mêrne:
la description du château du « riche imaginaire », à
la scène v de l'acte III; ce château que Phalante est assez fou
pour s'approprier, n'est autre que celui de Richelieu.
Dans quelques cas pourtant, l'on ne sait trop que penser. J'en
citerai deux exemples, qui se rattachent l'un et l'autre au rôle
d'Artabaze. Burlesquement, à la scène I de l'acte I, le capitan
explique l'apparition de l'héliocentrisme comme lié à un
bouleversement qu'il aurait, lui Artabaze, introduit dans l'ordre du monde en
cela Desmarets fait allusion à un problème d'actualité
(discussions autour des théories de Galilée, alors
emprisonné), mais la question était délicate ! On
peut remarquer que le passage ne permet pas de deviner ce que l'auteur pensait
du fond du problème. Le second exemple concerne un sujet plus
périlleux encore: H. G. Hall a cru pouvoir observer qu'Artabaze reprend,
pour se les appliquer à lui-même, « les comparaisons de la
poésie écrite en l'honneur des rois de France », d'Henri II
à Louis XIII (comparaisons avec Hercule, avec Jupiter, avec Mars...); si
cette remarque est fondée; dans quelle intention le dramaturge
risquait-il ces rapprochements ? Uniquement pour souligner
l'énormité des prétentions du capitan, ou pour critiquer discrètement
l'abus de telles comparaisons dans le culte royal ?
Je ne saurais terminer cette notice
sans rappeler—ce que chacun sait—que Les Visionnaires eurent l'honneur de fournir un personnage à Molière:
Bélise, des Femmes savantes, qui
vient d'Hespérie, « qui croit que chacun l'aime », avec une
différence toutefois: Bélise est une vieille fille alors
qu'Hespérie était jeune et « gentille ». Nous avons
vu que Molière, si l'on peut se f er au Boleana, critiquait les « visionnaires » de Desmarets comme trop
fous; il est bien certain qu'il ne se situe pas, quant à lui, comme
Scarron ou comme le Racine des Plaideurs, dans
la ligne du théâtre de l'extravagance si en vogue au temps des visionnaires,
et qu'il s'en distingue par beaucoup plus
de vraisemblance et de vérité humaine; mais n'exagérons
pas les clivages: quand il intitule des pièces « Sganarelle ou le
Cocu imaginaire » ou « Le Malade imaginaire », il n'est pas
si loin du « riche imaginaire » de Desmarets, et l'on sait que l'idée
de maladie mentale n'est pas absente du Misanttrope.
Entre le fou et le type comique la
séparation n'a jamais été bien nette. C'est le
mérite de Desmarets d'en avoir donné une illustration un peu
grosse, mais chatoyante et « docte », qui nous renseigne sur plus
d'un aspect de la vie intellectuelle au temps du Cid et de la Jeune Académie française.
Jacques Truchet in la
Pléiade.
[1] Comédie est à prendre au sens général de théâtre
[2] Hercule fut vainqueur des amazones
[3] Artabase s’attribue les thèories de Copernic & de Galilée
[4] Le blond Apollon, fils de Jupiter, fils lui-même de Saturne
[5] couplet lyrique formé de deux vers de longueur
inégale
[6] Cri des Bacchantes
[7] Ces dieux à pied de chèvre sont les Faunes & les satyres
[8] Bromios autre nom de Bacchus
[9] Les mimallons sont les Bacchantes. Elles portaient la thyrse, baton entouré de lierre et terminé par une pomme de pin.
[10] Se disait autrefois du bruit et du choc des flots de la mer
[11] enfermer avec les courtines, les rideaux d’un lit
[12] Ebranler une chose qui tient par la racine pour l’arracher
[13] Dans le temple e Poséidon au Cap Ténare il y avait un trou qui passait pour une bouche des enfers.
[14] Terme poétique qui ne se dit que des montagnes et des rochers fort élevés
[15] = la mythologie.
[16] Nautonier , n m : personne qui conduit un bateau
[17] corail
[18] la frénésie est selon Furetière
une « rèverie perpetuelle et violente accompagnée de
fièvre aiguë, de veilles et de plusieurs autres
accidents » Troubles et égarement d’esprit du à
la violence des passions.
[19] Le Flambeau des nuits = la lune, les feux qui l’assistent = les étoiles
[20] ici, le désir, la tentation
[21] ils s’estiment égaux aux rois quand ils ont le bonheur de me servir
[22] charme a une valeur magique : breuvage de charme = philtre. Suite d’idées typiquement baroques, le philtre, donner à boire de ses larmes et donner à manger son propre cœur.
[23] amour
[24] « qui donne, avec raison & jugement de
sorte qu’il ne soit ni prodigue ni avare » ( Furetière
)
[25] L’Asie
[26] = saisir l’occasion.
[27] L’unité de temps
[28] Héroïne du Roland Furieux d’Arioste
[29] Charites est le nom grec des graces
[30] Venus ainsi nommée parce qu’on lui livrait un culte particulier à Chypre
[31] = blesserait le cœur de ceux qui la regarde. (
langage galant )
[32] Paris. argives = grecs
[33] un vers, sens tout à fait hors d’usage (
lat. carmen )
[34] La mer
[35] fontaine Aganippè, au flanc de l’Hélicon, consacrée aux muses
[36] qui n’osent pas laisser se lever un second jour
( unité de temps )
[37] fables : la mythologie, accidents : évènements
[38] facheuse
[39] Comparaison ordinaire d’un amour ardent avec les
forge de Vulcain situées sous l’Etna. Encelade est un de ces
géants qui se sont révoltés contre les dieux. Il fut
jeté sous l’Etna et en provoqua les irruptions.
Empédocle
philosophe et medecin grec qui s’est jeté dans l’Etna pour
cacher sa mort et se faire passer pour un dieu.
Bronte, térope et Pyracmon : des cyclopes
[40] Séjour ( archa )
[41] thème poétique de l’amour comme
principe du monde. ( Lucrèce, De Natura Rerum )
[42] Clothon & Atropos deux des Parques (
Divinités du destin ). Atropos est fière, ie cruelle parce que
c’est elle qui coupe le fil de la vie.
[43] Desmarets aurait composé cela pour se moquer d’une fille qui faisait le bel esprit et qui ne se rendait pas compte qu’il se moquait d’elle. ( dixit Tallemant des Réaux )
[44] terme de philosophie. Action de deux qualités contraires, l’une exitant la vigueur de l’autre.
[45] Qui manque d’audace
[46] En mauvaise santé
[47] Détroit très agité entre l’ Eubée et la Boétie
[48] emploi burlesque ( document douteux ) ici : à laquelle on ne peut pas se fier
[49] symbole, emblème
[50] fou, aliéné d’esprit, visionnaire
[51] Ta bizarrerie est seule capable de servir d’explication aux visions les plus folles.
[52] Theo. Le remord. Le poète espère qu’elle se repentira de ses froideurs
[53] Brusque changement d’opinion. Retractation soudaine
[54] débris enflammés ; cause de querelle
[55] fer de soc
[56] mines
[57] a priori il s’agirait du château de Richelieu
[58] ravitaillement
[59] Renaud et Armide héros de La
Jérusalem délivrée
du Tasse. Dans cette maison Armide n’aurait pas eu besoin de magie pour
retenir Renaud.
[60] spectacle
[61] Doux gracieux délicat
[62] Nymphe transformée en fontaine ( à Syracuse )
[63] ou Niobé transformée en rocher qui
pleure après avoir vu Apollon er Diane massacrer ses 12 enfants.
[64] Elles furent comdamnées pour avoir tué leurs époux à remplir un tonneau sans fond.
[65] 2 syllabes
[66] Elle s’assimile à Thalestris, reine des
Amazones dont Quinte-Curse raconte qu’elle rendit visite à
Alexandre dans l’intention d’avoir un enfant de lui.
[67] Artabaze compagnon d’Alexandre le fut d’abord de Darius
[68] pester
[69] Les rivages de l’Inde
[70] généreux
[71] petite pièce de vers du genre satirique
[72] S’y connaître, être habile.
[73] Compte pour deux syllabes
[74] Il donne à Sestiane le nom de la muse de la
tragédie. La nymphe étant Hespérie.
[75] Bien que nous soyons à l’écart
[76] en voyant qu’elles jettent…
[77] renchérir sur ce que quelqu’un d’autre avait fait auparavant
[78] Il se découvre. Devant l’empereur, il est
dans son devoir
[79] deux syllabes
[80] invraisemblable
[81] ici : volonté
[82] L’Hippocrène source coulait au pied de l’Hélicon. Elle avait jailli dit-on sous les pied de Pégase, l’emplumé cheval.