Remarque

 

Les reflexions de Jean-Louis Barrault ci-dessous sont parfois en contradiction avec les thèses de J.C. Milner & F. Regnault ( dire le vers  1987 ) Lesquelles sont en contradiction ( apparentes ) avec celles de Meschonnic & Desson. ( traité du rythme 1998 )

 

 

definitions : consonne flexionnelle : ( donc instable )  flexion : procédé morphologique consistant à ajouter à la racine du mot des désinences exprimants des catégories grammaticales : genre, nombre, personne ou des fonctions syntaxiques. conjugaison, déclinaison, formes du pluriel..

homophone : se dit avec le même son.

 

N.B : L’idée d’une « ressemblance » du mètre français avec le mètre grec ou latin est

erronnée.

 

Extrait

 

Jean-Louis BARRAULT :

“ Nouvelles reflexions sur le théâtre “ flammarion ( 1959 )

Mise en scène de Phèdre

 

Paul Valery : Il n’y a pas encore de mots, il n’y a que des syllabes et des rythmes

( in de la diction des vers )

 

 

 

L’ALEXANDRIN

 

A. L'alexandrin proprement dit.

 

 

La forme verbale de Phèdre est l'alexandrin.

 

L'alexandrin est un vers de douze syllabes. Parmi ces syllabes, certaines sont dites accentuées, certaines atones, selon qu'elles obéissent ou non, soit  l'accent d'insistance, soit à l'accent tonique.

 

Ce sont le rebondissements subtils de ces syllabes atones se heurtant ou s’accordant avec les syllabes accentuées qui constituent le rythme de l'alexandrin.

 

Outre ses douze syllabes, I'alexandrin se divise en un certain nombre d'élements rythmiques. On appelle élément rythmique, un groupe de mots qui expriment une idée simple et unique. En général, l'accent tonique ou rythmique a lieu sur la dernière syllabe de tout élément rythmique.

 

Aprés la sixième syllabe de tout alexandrin, il y a ce que l'on appelle la pause, ou le repos. Cette pause divise donc l'alexandrin en deux hémistiches.

 

Que toujours dans vos vers le sens coupant des mots

Suspende l'hémistiche et margue le repos.

(BOILEAU, Art poétique.)

 

 

Aucun élément rythmique ne doit chevaucher la pause. Puisque tout élément rytbmique se termine par une syllabe accentuée et que la sixième syllabe d'un alexandrin doit terminer un élément rythmique, il en résulte que la sixième syllabe de l'alexandrin sera obligatoirement accentuée

Dans l’alexandrin du 17eme  siècle, où l'enjambement est interdit, le sens  du vers se termine à la dernière syllabe, d’où il résulte que la douxième et dernière syllabe est, elle aussi, obligatoirement accentuée.

 

 

 

Dans Phèdre, pourtant, on peut relever exceptionnellement deux enjambements: vers1445, Aricie:

 

]'ai perdu dans la fleur de leur jeune saison,

Six frères...

 

vers 1445, Aricie:

 

Mais tout n'est pas détruit, et vous en laissez vivre

Un...

 

Outre le repos obligatoire au milieu du vers et la 6e et la 12e syllabes forcément accentuées, I'hémistiche comprend un certain nombre d'éléments rythmiques dont voici les principales divisions:

 

Principales divisions rythmiques de l'hémistiche.

 

1°) Division en trois intervalles de deux syllabes: 2~2~2.

 

Chaque intervalle étant composé, soit de

 

2 accentuées,

1 accentuée + 1 atone.

1 atone + 1 accentuée

2 atones.

 

2°) Division en 2 intervalles de 3 syllabes: 3/3. Chaque intervalle étant composé, soit de:

 

3 accentuées.

2 accentuées + 1 atone.

1 accentuée + 2 atones.

1 atone + 2 accentuées.

2 atones + 1 accentuée.

3 atones.

1 accentuée + 1 atone + 1 accentuée.

 I atone + 1 accentuée + 1 atone.

 

3°) Division en 2 intervalles, l'un de 2 syllabes, I'autre de 4 syllabes: 2/4 ou bien 4/2.

 

L'intervalle de 2 syllabes se rapporte à la première division. L'intervalle de 4 syllabes se composant le plus souvent de 3 atones et 1 accentuée, au 3 accentuées et 1 atone, ou 2 accentuées et 2 atones, etc..;, mais pouvant donner lieu à un assez grand nombre de subdivisions.

 

4°) Division en 3 intervallesl’un de 1 syllabe, l'autre de 2 syllabes, le troisième de 3 syllabes: 1/2/3 ou bien 1/3/2 ou bien 3/1/2 ou 3/2/1, etc...

 

Chaque intervalle correspondant aux divisions précédentes.

 

Exception: exceptionnellement, il peut arriver qu'un alexandrin soit divisé en 3 intervalles de 4 syllabes. Dans ce cas, la sixième syllabe peut ne pas être accentuée: 4/4t4. ~

 

Ces cas sont rares. Dans Boileau on en trouve quelques-uns; dans Phèdre, il n'y en a apparemment pas

 

Analogie avec la métrique.

 

Ces divisions basées sur la valeur tonique des syllabes présentent une analogie avec la métrique du vers grec ou latin.

 

Si l'on admet en effet qu'une syllabe atone correspond à une brève, et qu'une syllabe accentuée correspond à une longue, on retrouve dans les divisions précédentes les spondée, trochée, iambe, pyrrhique, etc... C'est l'iambe et l'anapeste qu'on rencontre le plus souvent.

Definition : (Note de Mourad )

iambe :pied de vers composé d’une brève et d’une longue accentuée.

Anapeste : pied de vers grec ou latin composé de deux brèves et d’une longue.

Nous ne mettrons pas en regard de chaque alexandrin la division et l'analogie métrique auxquelles cet alexandrin correspond. ( parce que ce n’est pas possible ) Toutefois, s'il est préférable de déceler instinctivement le rythme  individuel  des alexandrins, il n'est peut-être pas inutile de pouvoir vérifier ce rythme numériquement.

 

Seule, dit-on, la valeur tonique des syllabes existe en francais. Cependant, certains poètes actuels, et des plus grands, prétendent qu'il pourrait exister une véritable métrique du vers français, du moins dans le langage parlé. Claudel est de ceux-là (« Réflexions sur le vers français » dans Positions et Propositions. Tome I). Gide, troublé, en parle souvent dans son journal ou dans certaines interviews imaginaires.

 

Le problème est certainement très délicat. Nous devons dite pourtant, que plus nous avançons dans nos recherches, plus brèves et longues, en dehors des syllabes accentuées ou atones, viennent nous préoccuper. Il peut être intéressant de rappeler que une longue ne vaut pas deux brèves.

 

B. L'hiatus et les liaisons.

 

Faire ou ne pas faire la liaison, vous dira-t-on, c'est affaire de goût. Au 17eme on faisait les liaisons. Il faut donc faite les liaisons avec goût ! ( sophisme )

 

Mais au XVeme° siècle on prononçait aussi Achéron avec un ch doux. (C'est Lulli qui voulait qu’on le prononce à l'italienne. Racine se débattait contre Lulli pour maintenir le ch doux, ainsi il y avait la diction “opera” Akéron et la diction “théâtre” Achéron ). On prononçait aussi les infinitifs en faisant sentir l'r. Ex.: Chantair. Ce qui, dans ce cas, supprimait la question des liaisons. Enfin, Molière avait eu, paraît-il, une discussion au sujet d'une locution: I'un et l'autre. Molière ne faisait pas la liaison entre “un”» et “et” et quelqu'un prétendit que l'on devait la faire: L'u(n) n'et l'autre. » {I s'ensuivit une discussion et la conclusion fut que « I'u(n) n' et l'autre » appartenait à la prononciation dite normande (cf. Corneille), et « l'un et l'autre » appartenait à la prononciation dite  française ». Ainsi, au 17eme siècle, on n'était pas tellement d'accord sur l'utilisation des liaisons.

 

Inconvénients des liaisons

 

En abusant des liaisons:

1° on fausse l'harmonie et la musicalité du

vers

 

2° En liant les éléments rythmiques les uns aux autres en une longue guirlande incompréhensible, on brouille le sens de la phrase

 

3° Les voyelles, ne rencontrant plus de difficultés pour se former, se ramollissent, se ternissent et tendent toutes vers la prononciation d'un e mou. La diction devient uniforme et grise. Elle perd son fruité et sa couleur.

 

4° On ne respecte plus les accentuées. La diction devient uniformément atone

 

5°Le sens de la phrase peut enfin changer.

 

La diction est d’autant plus dense que les liaisons sont utilisées avec économie.

 

En versification, il n'existe pratiquement pas de règles sur les liaisons.

Mais ces règles existent en prose.

 

Ces règles, dont nous allons donner les principales, pourraient servir de base, tout en respectant le goût de chaque interprète, à la diction des alexandrins. (Ces règles ont été tirées principalement du Traité de prononciation française de Maurice Grammont.)

 

            Régle principale.—On lie dans l'intérieur d'un groupe rythmique; on ne lie pas d'un groupe rythmique au suivant. On lie d'une syllabe atone sur la suivante, on ne lie pas d'une syllabe accentuée.

 

Ex. ces petits) z'enfants/ont perdu leur chemin.

 

Puisqu'un groupe rythmque se termine généralement par une syllabe accentuée, il est donc normal que la liaison ne se fasse pas de cette dernière avec la suivante.

Déjà nous pourrons en conclure que la sixième syllabe de l'alexandrin, qui est toujours accentuée, peut se dispenser de la liaison.

 

Ex.: Le (s) z'ombres par trois fois/on(t) obscurci les cieux.

 

Ronsard ne conseillait-il pas, dans certains cas, de cultiver la rencontre de 2 voyelles  “et particulièrement à la pause A”,”car cela fait “, disait-il,  “un effet merveilleusement rude” ? Mais nous savons qu'entre Ronsard et Racine, il y avait eu Malherbe, il y avait encore Boileau...

 

Ronsard

Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode.

(BOILEAU, Art poétique.)

 

N'insistons pas.

 

Autres règles:

 

6* Les mots accessoires monosyllabiques: articles, pronoms, prépositions, conjonctions,

 

—sont toujours liés lorsqu'ils sont préposés,

 

—ne sont pas liés lorsqu'ils sont post-posés.

Ex.: le(s) z hommes,

mais: avons-nou(s) eu tort ~

 

On dit: allez-vou (s) z'en' parce que « vous  est préposé à a en » qui fait partie intégrante du verbe a s’en aller ».

 

7* Même règle pour l'adjectif: on lie adjectif + substantif, on ne lie pas substantif + adiectif.

 

Ex.: un lon(g) k'hiver, des travau(x) admirables.

 

ainsi dans: un savan{t) t'aveugle, il s'agit d'un aveugle qui est savant'

 

et dans un savant aveugle, il s'agit d'un savant qui est aveugle.

 

Voilà un cas où la liaison change le sens de la phrase.

 

3°) On lie dans les locutions toutes faites, comme: mot-à-mot. Mais, par exemple, il faut distinguer

 

Avoir un pie(d) t-à-terre,

 

Avoir un pie(d) à terre.

 

4°) Dans un mot terminé par « rs » oh ! cela est important ! on ne fait pas entendre l's, sauf lorsqu'il marque le pluriel.

 

Ex.:      je vais ver(s) elle,

et non: ver(s) z'elle.

toujour(s) aimer

et non: toujour(s) z'aimer, etc..

 

Que d'acteurs abusent sous prétexte d'élégance, de ces liaisons avec l's, alors qu’'il est beaucoup plus doux de ne pas lier !

 

 

 

On lie dans les cas où la liaison peut seule faire sentir le pluriel.

 

Ex.: dans quel(s) z'heureux climats.

 

5°) On ne lie pas devant h aspiré: noms de nombres, w(oui) initial.

Ex.: un/héros, les/ onze, les/oui.

 

L'hiatus est toléré. ( Il parle de la langue mais un tel hiatus est introuvable dans les alexandrins dits classiques ) ( Mourad )

 

Il est aussi aujourd'hui toléré pour les nasales (Molière a eu gain de cause: l'un et l'autre).

 

Néron est amoureux.

 

6°) Le mot « san(g) ', ne se lie pas (avec un k). Avec la nasale “an” ', l’hiatus est toléré.

 

— Ce qui affaiblit considérablement le pouvoir de la règle sur l'hiatus c'est cette tolérance qu'on lui accorde avec l'e muet et les nasales. Ex.: Aricie/a son coeur.

 

Liaisons vocaliques. Dans « j'ai été », la même voyelle se rencontre deux fois: on dit qu'il y a liaison vocalique et non hiatus « Assez dans ses sillons votre sang englouti “, pourrait être une liaison vocalique. De même: «< Un chagrin inquiet » (vers 148); « Montrer et revoir » (165) etc...

 

L'hiatus. De tous temps des hommes de lettres regrettèrent ou prônèrent l'hiatus. Ronsard autrefois; Claudel, Valéry aujourd'hui. Voici, par exemple en 1683 (six ans après la création de Phèdre) une remarque tirée de Charpentier: De l'excellence de la langue francaise:

 

— La langue francaise, au contraire, a retenu la douceur de la prononciation grecque, en faisant sonner les deux voyelles qui se rencontrent. Ainsi elle dit:” On louera éternellement la bonté ineffable de Dieu et la charité ardente et infatigable des premiers chretiens qui a été admiree de leurs ennemis mêmes. La rencontre qui se fait de ces voyelles introduit quelque harmonie dans le discours, qui n'y serait point si une consonne succédait toujours à une voyelle. Ainsi, il est plus agréable de dire: ce Roy a qui... que de dire ce Roy de qui... parce que la diphtongue rencontrant la voyelle, on est obligé de soutenir la voix aprés le mot de Roy, et de marquer un petit repos qui détache les mots, et donne plus de majesté au discours. “

 

Voilà le goût d'un helléniste du XVIIe siècle. Racine n'était-il pas, lui aussi, helléniste ? Se serait-il vraiment insurgé contre cette remarque ?

 

 
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